New York : The Cloisters

La collection du sculpteur George Grey Barnard et le mécénat des Rockefeller.

Les Cloîtres ou Cloisters à New York. Dans cette extension du MET, le visiteur retrouve des collections de l'art médiéval. Leur environnement des cloîtres d'Europe et recréés à Manhattan. Serge Legat, conférencier au Club de l'Art, nous convie pour cette sixième étape newyorkaise, dans ce musée hors norme. Un hommage au passé de la vieille Europe.

Par Serge Legat

New York : the Cloisters ou les Cloîtres

Le musée des Cloisters est une extension du Metropolitan Museum consacrée à l'art du Moyen-Age, mais toute la collection médiévale n'est pas conservée aux Cloisters , il reste quelques œ,uvres au Metropolitan et la répartition des collections entre les deux sites n'est pas aussi simple qu'il y paraît.

Les objets d'art du moyen âge au MET

La richesse de cette collection à l'intérieur du Metropolitan est essentiellement due au grand mécène J. Pierpont MORGAN qui fit plusieurs donations exceptionnelles en 1916 et 1917.

Sainte Catherine d'Alexandrie

Cette Statuette de Sainte Catherine d'Alexandrie (1400/1410) fait partie de la donation de 1917. C'est une très belle œ,uvre parisienne en ronde bosse, d'un grand raffinement, en or, émail opaque (blanc, rarissime) avec des pierres précieuses et des perles.

Elle faisait sans doute partie du décor d'un reliquaire. Le personnage tient d'une main la roue de son supplice et de l'autre un élément disparu qui devait être la palme du martyre.

Issue de la même donation voici une Vierge à l'Enfant (1150/1200), d'origine auvergnate, en chêne portant des traces de polychromie. Il s'agit d'une œ,uvre de dévotion qui décorait une église et servait peut-être à des processions. La vierge est assise sur un trône mais elle est elle-même « trône de sagesse divine » avec son fils sur les genoux.

Autre élément : cette Assiette d'époque byzantine (628/630), absolument exceptionnelle puisqu'elle fut découverte à Chypre en 1902 avec neuf autres assiettes semblables, en argent massif dont six sont au Metropolitan Museum et les quatre autres au musée de Nicosie. Ce sont des objets liturgiques , celle-ci est la plus grande et devait être placée au centre , de part et d'autre on avait des assiettes en taille décroissante.

La gravure sur argent massif est d'une grande qualité. Au centre, elle représente la lutte de David et Goliath, en haut, David défiant le géant et en bas, la mort de Goliath. C'est pour les spécialistes le plus bel exemple de travail byzantin de l'argenterie qui nous soit parvenu.

Sans même parler des Cloisters, nous voyons que la collection du Moyen-Age au Metropolitan Museum est d'une très grande richesse.

Les Cloisters : leur histoire

L'histoire de ce musée est extraordinaire et elle est principalement le fait du mécénat des ROCKEFELLER. En 1925, John D. ROCKEFELLER Junior, donne une énorme somme d'argent au Metropolitan Museum pour pratiquer l'acquisition d'une somptueuse collection de sculpture et d'architecture médiévales réunie par le sculpteur George Grey BARNARD.

Clloître de Saint Guilhem le Désert

Dès 1914, cet artiste avait rassemblé ses collections dans un immeuble de New York situé sur Fort Washington Avenue. Il était parvenu à recréer une sorte de monastère médiéval à partir de fragments de monastères français ou espagnols auxquels il avait adjoint une très belle collection de sculptures du Moyen-Age.

Dans un premier temps, le MET conserve l'immeuble et crée le musée des Cloîtres. Mais, bien vite, l'espace manque pour accueillir les donations de John D. ROCKFELLER destinées à compléter les collections. En 1931, ce dernier fait l'achat d'un terrain rocailleux au nord de Manhattan et le donne à la ville de New York avec pour mission d'y aménager un parc tout en consacrant les deux hectares à l'extrême nord à la construction d'un nouveau musée des Cloîtres.

Il choisit lui-même l'architecte de ce nouveau bâtiment, Charles COLLENS et lui adjoint les plus grands spécialistes du Moyen-Age. Charles COLLENS se rend en Europe pour s'imprégner de culture française et espagnole, et, à son retour, la construction ne traîne pas puisque l'ouverture au public se fait en 1938.

Les donations de John D. ROCKEFELLER viennent enrichir les collections en particulier dans le domaine des tapisseries. Par la suite, une politique d'achat est mise en place qui complète cet ensemble extraordinaire.

Cinq cloîtres sont recréés : ceux de Saint-Michel-de-Cuxa, Saint-Guilhem-le-Désert, Bonnefont-en-Comminges, Trie-en-Bigorre et Froville.

Ils ont été achetés par George Grey BARNARD alors qu'ils étaient à l'abandon, désertés à la suite de la Révolution et pillés par la population locale. C'est donc un véritable sauvetage. Les parties manquantes ont été reconstituées avec des matériaux identiques et des techniques traditionnelles, à la main.

Saint-Michel-de-Cuxa

Voici le plus beau et le plus grand, celui de Saint-Michel-de-Cuxa (XIIème siècle), monastère fondé en 878 aux pieds du mont Canigou. La sculpture des chapiteaux est exceptionnelle car d'une grande variété dans ses motifs : végétation, animaux, motifs de tissus orientaux, etc.

Les objets d'art

Certains objets font partie de la collection des Cloisters mais se trouvent exposés au Metropolitan en voici trois : Ce Buste de dame noble (Vème/VIème siècle- marbre) est une œ,uvre du premier âge d'or byzantin, sous l'empereur Justinien. Elle est entrée dans la collection en 1966. Sa coiffure ainsi que le rouleau impérial qu'elle porte à la main nous portent à croire qu'il s'agit d'une personne de l'entourage de l'empereur. Il y a un paradoxe dans la représentation entre le modelé très naturaliste du visage et le regard absolument fixe. Peut-être une distance observée par l'artiste vis-à-vis d'un modèle de haut rang.

Le calice d'Antioche

Le deuxième objet, très célèbre, que l'on appelle Le calice d'Antioche (Syrie, VIème siècle) est une coupe en argent et vermeil découverte en 1910 et entrée en 1950 dans la collection des Cloisters. C'est une coupe en argent massif, sans décor, emprisonnée dans une résille en vermeil.

Lors de sa découverte, on a cru avoir affaire au Saint Graal : la coupe aurait été mise dans cet écrin de vermeil, postérieurement en raison de son caractère sacré , le Christ est d'ailleurs représenté sur le décor en vermeil. Mais cette hypothèse ne résista pas aux analyses qui prouvèrent que la coupe et le décor étaient de la même époque, le VIème siècle.

C'était peut-être tout simplement une lampe à huile. Les recherches se poursuivent autour de cet objet. Enfin, voici une Plaque en émail limousin (XIIème siècle) représentant la Pentecôte. La technique est exceptionnelle : émail champlevé sur cuivre doré. Elle est entrée dans les collections en 1965. Le musée possède une des plus belles collections en émaux limousins. La représentation des apôtres est d'une intelligence étonnante : comme l'espace ne permet pas de tous les représenter, certains sont cachés derrière les six en premier plan mais on les devine grâce aux rayons de lumière dispensés par la main divine.

Continuons avec des objets qui sont bien exposés au musée des Cloisters : Cette Plaque d'ivoire représentant Saint Jean L'Evangéliste assis (IXème siècle) est un merveilleux exemple de l'art carolingien. Elle est liée au couronnement de Charlemagne qui a marqué la relance d'une politique de mécénat entraînant une véritable renaissance artistique en Europe. C'est sans doute un fragment de triptyque.

La croix des cloîtres

La croix des Cloîtres (milieu du XIIème siècle) est un magnifique travail de l'ivoire, de facture anglaise. C'est de l'ivoire de morse avec des traces de polychromie. L'ensemble représente l'arbre de vie , elle est sculptée sur les deux faces d'une centaine de figures minuscules et d'environ soixante inscriptions en latin et en grec. C'est un formidable travail de miniaturisation. Il manque la figure du Christ crucifié dont on devine l'emplacement grâce à des petits trous. Même ce qui était caché par le Christ est sculpté. Elle provient probablement d'une abbaye du Suffolk, Bury Saint Edmunds.

Ce superbe Crucifix (1150/1200) est espagnol , toutes les écoles médiévales sont représentées aux Cloisters. C'est une œ,uvre en chêne et pin avec des traces de polychromie qui est entrée en 1935. Il devait décorer le couvent de Sainte Claire, près de Valence. C'est un chef-d'œ,uvre de l'art roman. De plus, l'iconographie est très rare : ce n'est pas un Christ souffrant couronné d'épines mais un Christ aux yeux grand ouverts, portant une véritable couronne : c'est la représentation du Christ «Roi des cieux ».

Les vitraux

Les Cloîtres : vitraux

La collection de vitraux est également très belle. Un exemple avec ces Vitraux du Rhin (1440/47) fabriqués dans la région de Cologne pour décorer l'église Saint Séverin à Boppard-sur-le-Rhin. C'est un magnifique travail du Gothique tardif. Ils représentent trois personnages : Sainte Catherine d'Alexandrie avec la roue de son supplice, Sainte Dorothée et le Christ-enfant qui lui offre une corbeille de roses et Sainte Barbe avec sa tour.

Les tapisseries

Tapisserie e la Licorne

La Tapisserie des neuf preux (France-1385- laine) a été donnée au musée par John D. ROCKEFELLER en 1947. Elle est magnifique mais malheureusement incomplète , les fragments manquants sont introuvables. Chaque tapisserie représente un héros en son centre entouré de nombreuses petites figures qui sont des personnages de cour de l'époque : ecclésiastiques, chevaliers, dames, musiciens, troubadours, etc. Y figurent les armes de Jean de BERRY, le frère du roi Charles V , la série a été réalisée pour lui. Les héros représentés étaient :

- trois héros païens : Alexandre le Grand, Jules César et Hector (disparu),
- trois héros hébreux : Joshua, David et Judas Maccabée (disparu),
- trois héros chrétiens : Arthur, Charlemagne (disparu) et Godefroy de Bouillon (disparu).

La Tapisserie à la Licorne (Bruxelles-1495/1505- laine, soie, métaux précieux) a été offerte par John D. ROCKEFELLER en 1937. C'est généralement la préférée des visiteurs. Le thème est la chasse à la licorne et nous voyons là la dernière scène, celle de la licorne ressuscitée. Il s'agit en réalité d'une symbolique christique car la licorne ressuscitera comme le Christ. On pense que cette série a été réalisée pour un cadeau de mariage, la symbolique correspond et il y a de nombreux symboles d'amour et de fertilité dans la faune et la flore représentées.

Les manuscrits

Les belles heures du Duc de Berry

La collection est somptueuse : le plus beau est peut-être celui des Belles heures du Duc de Berry (1400/1416), entré en 1954 dans la collection. C'est un travail des frères de LIMBOURG. C'est un ouvrage exceptionnel avec 94 miniatures en pleine page et un jeu de décoration magnifique. La peinture, a tempera et à la feuille d'or est d'une qualité remarquable, à l'égal de la peinture de chevalet. Voici un exemple : Saint Paul ermite regardant avec horreur un jeune homme chrétien qui se laisse tenter par une femme. On y voit un sens du volume et de l'espace qui montre que les artistes ont une bonne connaissance de la peinture italienne.

Beaucoup plus ancien, voici une feuille d'un manuscrit espagnol du XIIème siècle représentant le Christ en majesté entouré d'anges (1180- tempera et or sur parchemin). C'est un commentaire sur l'apocalypse qui provient d'un monastère de Burgos. Il est entré très récemment dans les collections du musée, en 1991.

La peinture

Le Tryptique de Mérode

Elle est très peu représentée aux Cloisters car pour des raisons de conservation, on préfère garder les tableaux au MET. Cependant, le musée possède un grand chef-d'œ,uvre qui a une salle pour lui tout seul, Le triptyque de Mérode (1425-huile sur bois) de Robert CAMPIN (Valenciennes, 1378/79-Tournai, 1444).

Il a été acheté en 1956 et son départ a provoqué un scandale dans les pays flamands car c'est vraiment une œ,uvre majeure. Le panneau central représente une Annonciation, à gauche on trouve les donateurs, à droite saint Joseph travaillant dans son atelier. La technique à l'huile est exceptionnelle avec des glacis complètement translucides et, en sous-couches, encore des pigments à l'eau.

Tryptique de Mérode - détail

La scène centrale se déroule dans un intérieur flamand bourgeois du XVème siècle : c'est l'expression du naturalisme flamand. CAMPIN est le maître de VAN DER WEYDEN mais son art est plus brutal, plus monumental, sans recherche de joliesse.

La perspective est un peu bancale mais le traitement des détails est extraordinaire. Tout est symbole dans les objets ordinaires représentés : les lys blancs symboles de la pureté de la Vierge, la bougie éteinte qui signifie que le Christ n'est pas encore là, etc. En regardant de très près au-dessus de l'archange, on voit dans la lumière divine, la croix représentée, symbole de la Passion à venir. La Vierge, très réservée, lit la Bible enveloppée dans un linge blanc.

Tryptique de Mérode - détail

Dans le panneau de droite, Saint Joseph est représenté dans son appentis, entouré d'objets liés à son métier de charpentier. Il est en train de fabriquer une souricière, la souris étant à l'époque un symbole du mal. En arrière plan, il y a une merveilleuse représentation d'une ville flamande du XVème siècle, avec des détails d'une grande minutie. Il s'agit vraiment ici d'une œ,uvre majeure de la peinture flamande.

Nous avons donc pu voir combien la collection d'art médiéval est riche, tant au Metropolitan Museum lui-même qu'aux Cloisters. A travers ces collections où l'art européen est somptueusement représenté, c'est un grand hommage qui est rendu au passé de la vieille Europe par un jeune pays, les Etats-Unis d'Amérique.

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