New York : la Frick Collection

Le musée fête ses 75 ans

Le 10 décembre 2010, la Frick Collection fête le 75e anniversaire de l'ouverture du musée. Avec Serge Legat conférencier au Club de l'Art, nous poursuivons notre visite du New York artistique. Cette troisième étape nous entraine dans la visite de cette formidable collection de peintures et objets d'art mis en scène dans la maison particulière - un palais - que fit construire Henry Clay Frick en bordure de la Ve Avenue. Avec des oeuvres de Fragonard, Boucher, Hogarth, la Frick Collection accorde une place de premier plan aux XVIIIe siècles français et anglais.

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La Frick collection: le goût de Henry Clay Frick



Cet article ainsi que le suivant ont pour objet un des plus beaux musées de New York : la Frick collection. Privée à l'origine, cette collection est d'une richesse exceptionnelle en particulier en peinture mais aussi en mobilier, objets d'art, porcelaine, etc.


Henry Clay FRICK , magnat du charbon et de l'acier

Henry Clay FRICK (1849-1919) à qui nous devons cette collection, est un magnat du charbon et de l'acier. Originaire de Pittsburgh, il a construit sa fortune seul, c'est le type même du self-made man à l'américaine, et il la met en grande partie au service de l'art. A 30 ans, au cours de son premier voyage en Europe en compagnie, entre autres, d'Andrew MELLON, personnage fortuné à qui l'on doit d'importantes collections en particulier à la National Gallery de Washington, il a un véritable coup de foudre pour l'art européen et commence à pratiquer des achats. En 1881, il se marie avec Adélaïde HOWARD CHILDS et en 1905 le couple s'installe à New York. Commence alors l'idée de la création d'une véritable collection d'art.

La résidence de Henry Clay Frick


Ils achètent un terrain fort bien situé, à l'angle de la 5ème avenue et de la 70ème rue, à la hauteur de Central Park et, démolissant l'ancienne bibliothèque Lenox qui s'y trouvait, ils font construire par l'architecte Thomas HASTINGS un palais élégant de style Louis XVI. Ce quartier est appelé le Millionaires' Row car c'est ici que les grandes familles fortunées ont leurs propriétés. C'est à la fois la demeure du couple et le siège de leur collection.

A la mort de Madame FRICK en 1931 (son époux est déjà décédé en 1919), la maison est agrandie et transformée en musée. John Russell POPE y pratique certains aménagements mais nombre de pièces d'habitation resteront inchangées. D'autres réaménagements interviendront au cours des décennies et le dernier date de 1977.

Contrairement au goût des conservateurs français, on a conservé ici les period rooms, salles d'atmosphère, qui donnent au visiteur l'impression que la demeure est toujours habitée (on voit ici le grand salon aujourd'hui, exactement tel qu'il était du temps de M. et Mme FRICK avec trois très grands chefs d'œ,uvres vénitiens de BELLINI et TITIEN).

La residence Frick : living hall


Ce principe plaît beaucoup aux conservateurs américains et il est utilisé dans d'autres musées, en particulier au Metropolitan Museum de New York.

Quant à la politique d'achat de Henry Clay FRICK, on a beaucoup trop dit qu'elle était dictée par ses conseillers, en particulier Joseph DUVEEN qui fut certes un personnage important. Mais en réalité, M. FRICK possédait un goût très sûr et un véritable intérêt pour certains peintres. Alors qu'il habite encore Pittsburgh, dans les années 1895-1900, il fait ses premiers achats, en moyenne deux tableaux par mois, et surtout dans le domaine de l'art français contemporain : COROT, DAUBIGNY. Certains seront revendus par la suite, le goût du collectionneur évoluant.

A partir de 1900, il s'intéresse au portrait anglais du XVIIIème siècle et à la peinture hollandaise du XVIIème siècle. Dès 1905 et son installation à New York, il commence des achats d'œ,uvres majeures qui se poursuivront jusqu'à sa mort en 1919.

Frick Collection : le grand salon


De nos jours, la collection FRICK continue de s'enrichir , ce n'est pas une collection morte. Les conservateurs mettent un point d'honneur à rester fidèles au goût de M. FRICK mais la collection évolue tant par la politique d'achats que par les modifications d'accrochage.

Le XVIIIème siècle français


La salle Fragonard

Fragonard : la poursuite


Le XVIIIème siècle français est fort bien représenté à la Frick Collection en particulier grâce à une
remarquable série installée dans ce que l'on appelle la salle Fragonard. Cette salle existait déjà chez le célèbre collectionneur J. PIERPONT MORGAN dans sa demeure de Londres. A sa mort, en 1915, M. FRICK, conseillé par le fameux Lord DUVEEN, s'en rend acquéreur et les européens -trop occupés par la guerre- laissent filer outre-Atlantique ce précieux trésor.

On appelle ce cycle Les progrès de l'amour. Il s'agit d'une commande de la comtesse du BARRY à FRAGONARD destinée à décorer le salon du pavillon moderne de Louveciennes. Elle comporte quatre toiles qui sont terminées en 1773 et très vite mises en place. Mais, dès l'année suivante, Madame du BARRY les fait retirer pour les remplacer par une série de Joseph Marie VIEN sur le même sujet. VIEN, professeur de Jacques Louis DAVID, incarne la nouvelle mode du retour à l'antique, ce néo-classicisme que la comtesse, qui se doit d'être à la pointe de la mode, se plaît à promouvoir.

FRAGONARD, mortifié, récupère les toiles chez lui et, lorsqu'en 1790, il se retire à Grasse chez son cousin, il les emporte avec lui. Là-bas, il les complète d'une cinquième grande toile et de plusieurs petits tableaux décoratifs (en tout une dizaine). Le musée Fragonard de Grasse qui n'est autre que la maison de ce cousin possède des copies de ce cycle que l'on appelle les copies « La Brély » (1898). Le cycle se retrouve donc au grand complet à New York.

La première grande toile a pour titre La poursuite et illustre le jeune homme faisant sa cour à la jeune fille qui résiste. C'est vraiment une des plus belles séries de FRAGONARD avec, comme ici, ces grands paysages anti-naturalistes, à la végétation luxuriante, qui forment un écrin de nature à des personnages charmants et animés. C'est une grande réussite du style rocaille, le rococo français.

Fragonard : la rencontre


Le second tableau, selon une progression logique s'intitule La rencontre , il s'agit du rendez-vous galant. On a longtemps prétendu que Madame du BARRY avait supprimé ces tableaux car le jeune homme ressemblait à Louis XV et que c'était donc compromettant pour elle. Ceci est entièrement faux et pour de nombreuses raisons : d'abord la ressemblance de ce jeune homme, très stéréotypé, avec un Louis XV déjà mûr n'est pas évidente, ensuite Madame du BARRY, maîtresse tout à fait officielle, n'avait rien à craindre de ces ragots que, de toutes façons, cette femme intelligente devait mépriser.

Le troisième tableau, L'amant couronné, symbolise l'union, le mariage. La quatrième toile, Les lettres d'amour, illustre un bien joli thème : la poursuite calme et heureuse d'une union parfaite. Le couple relit avec bonheur les lettres qu'ils ont échangées.

Au vu de l'ensemble de ces quatre toiles, toutes dans le plus parfait style rocaille, on comprend que le refus de Madame du BARRY n'ait été motivé que par un seul impératif, la mode : en 1774, ces tableaux sont datés et doivent laisser place à la modernité.

La cinquième toile, ajoutée à la série par l'artiste en 1790-91 a pour titre Rêverie ou L'abandonnée. C'est un peu la vengeance de FRAGONARD qui, en peignant cette jeune fille seule au pied d'une colonne surmontée d'un cadran solaire sur lequel Cupidon compte les heures, veut évoquer la disgrâce de la favorite après la mort de Louis XV en 1774.

Le temps des amours a passé... Pourtant les dernières années de Madame du BARRY ne seront pas si malheureuses. Elle rencontrera d'autres protecteurs et conservera certaines amitiés jusqu'à sa fin tragique sur l'échafaud de la révolution, sous la Terreur.

Voici donc une série absolument exceptionnelle et complète, que bien des musées français rêveraient de voir figurer au rang de leurs collections. Elle présente également un grand intérêt pour l'histoire de l'art car elle marque le discrédit du rocaille et l'avènement du néo-classicisme.


La salle Boucher

Boucher : portrait de Mme Boucher


Mais FRAGONARD, n'est pas le seul grand artiste français du XVIIIème siècle représenté à la Frick collection : à côté de l'entrée, au rez-de-chaussée, il existe une pièce entièrement décorée par François BOUCHER.

A l'origine, cette pièce se trouvait au deuxième étage, il s'agissait du boudoir de Madame FRICK. Les panneaux ont été achetés en 1916 et proviennent de la bibliothèque de Madame de POMPADOUR au château de Crécy. Ce château près de Chartres est la première propriété de Madame de POMPADOUR, une fois son titre de maîtresse royale reconnu. Cette bibliothèque octogonale jouxtait sa chambre et l'on voit son goût personnel s'y développer. Sous couvert de thèmes anecdotiques et charmants, ce cycle représentant Les arts et les sciences est une très jolie mise en valeur du rôle de mécène que la favorite a exercé au cours de son « règne ». Elle apporte en particulier un soutien indispensable à l'Encyclopédie Ces dessins seront repris pour des tapisseries recouvrant des fauteuils au château de Bellevue, résidence favorite de Madame de POMPADOUR.

Chaque panneau est en deux parties, l'une au-dessus de l'autre. Les thèmes représentés sont les suivants : Architecture et Chimie :

L'architecture évoque les liens de Madame de POMPADOUR avec LASSURANCE, architecte qui a aménagé le château de Crécy. Du point de vue de la chimie, il faut rappeler qu'elle s'occupera beaucoup de la manufacture de Vincennes qui déménagera plus tard à Sèvres et de la manufacture de verre à Bas Meudon. Chaque discipline est représentée par des enfants joueurs et charmants.

Peinture et Sculpture : le buste apparaissant dans l'évocation de la sculpture est celui d'Alexandrine, la fille de la favorite disparue très jeune, sculpté par François Jacques Joseph SALY.

Astronomie et Hydraulique : Madame de POMPADOUR se piquait d'astronomie et possédait une longue-vue à Crécy. Quand à l'hydraulique il faut savoir qu'elle est à l'origine des jeux d'eau de Crécy.

C'est vraiment l'apothéose du style rocaille très en vogue dans ces années 1750. Poésie et Musique. Chasse aux oiseaux et Horticulture : L'horticulture fait référence à l'aménagement des jardins de Crécy par GARNIER DE L'ISLE. Pêche et Chasse : la diplomatie aurait voulu que l'on évitât la pêche car Madame de POMPADOUR était née POISSON. Mais elle accepte avec panache cette représentation. La chasse est un clin d'œ,il à la passion de Louis XV pour cette activité.

Comédie et Tragédie : on jouait beaucoup de pièces de théâtre chez la favorite. Chant et Danse : disciplines dans lesquelles Madame de POMPADOUR excellait.

C'est donc un magnifique ensemble que cette série complète de BOUCHER. Une fois encore tous les musées européens en sont jaloux. Comme pour les FRAGONARD, les pièces ont été aménagées spécialement pour accueillir ces œ,uvres.
Pour poursuivre la collection dans le goût de M. FRICK, les conservateurs ont acquis d'autres tableaux de BOUCHER et en particulier en 1937, ce magnifique Portrait de Madame Boucher (1743).
D'autres tableaux complètent cette évocation du XVIIIème siècle français, comme La serinette (1753) du peintre CHARDIN, acquis en 1926 par madame FRICK.


Le XVIIIème siècle anglais

Hogarth : portrait de Mary Edward


C'est la grande passion de Monsieur FRICK autour de 1900, en particulier en ce qui concerne le portrait. Tous les portraitistes anglais sont représentés par des chefs d'œ,uvre. Voici William HOGARTH (1697-1764) avec ce Portrait de miss Mary Edwards (1742) acheté en 1914. C'est lui qui lance la grande école du portrait anglais. Ce très beau portrait, celui d'une femme fortunée qui fut son grand mécène entre 1733 et 1743, montre la grande influence sur l'artiste des écoles du nord et en particulier VAN DYCK.

Puis Sir Joshua REYNOLDS (1723-1792), dont le Portrait de Lady Skipwith (1787-achat de 1906) est typique du style tardif du peintre : une grande liberté de manière, une pose naturelle.

La promenade à saint James's Park de GAINSBOROUGH (1783), est un achat de 1916, ce qui montre, une fois encore, combien M. FRICK a su profiter de l'absence des acheteurs européens, absorbés par la guerre. Les trois personnages du centre seraient les princesses royales. L'artiste était un grand admirateur de WATTEAU chez qui il puise ici son inspiration.

George ROMNEY (1734-1802) est également représenté avec un des portraits de son modèle favori, Lady HAMILTON, égérie de toute une génération, qui fut l'épouse de Sir William HAMILTON, ambassadeur britannique à Naples, et la célèbre maîtresse de l'amiral NELSON. Elle est le symbole d'une grande liberté de mœ,urs. Ce Portrait de lady Hamilton en « Nature » (1782) est un des portraits où elle apparaît en allégorie.

Une petite entorse avec un peintre américain Gilbert STUART (1755-1828), mais qui fait toute sa carrière en Angleterre et dont l'art est fortement influencé par ROMNEY. Ce Portrait de George Washington (1795-96) est sans doute une des nombreuses répliques que l'artiste a lui-même réalisées a partir des trois portraits qu'il exécuta du président américain. Celle-ci est de grande qualité.


Le XIXème siècle français et anglais

Pour terminer, nous voici déjà au XIXème siècle avec Sir Thomas LAWRENCE (1769-1830) et c'est l'étape finale de cette grande époque du portrait anglais. Le Portrait de Lady Peel (1827-achat de 1904) est un clin d'œ,il élégant au Chapeau de paille de RUBENS, tableau entré à la National Gallery de Londres par la donation de M. PEEL, l'époux de Lady Peel représentée ici. C'est un somptueux portrait, d'une très grande virtuosité, mais aussi le témoignage d'une peinture mondaine où les détails comptent autant que la personnalité du modèle.

Louis David : Comtesse Daru


La France du début du XIXème siècle apparaît de façon sporadique dans la collection mais avec des oeuvres de premier plan. Ce Portrait de la comtesse Daru (1810) de Louis DAVID est un des premiers achats des conservateurs (1937) pour compléter la collection qui ne comptait aucun DAVID. Il est d'ailleurs très peu représenté dans les musées américains. Ce portrait est un cadeau surprise de l'artiste au comte DARU car c'est grâce à l'intercession de ce dernier que Le sacre de Napoléon 1er lui fut enfin payé.

Le Portrait de la comtesse d'Haussonville (1845-achat de Mme FRICK en 1927) d'INGRES est un éblouissant portrait de cette femme de lettres qui fut la première à écrire une biographie de BYRON. Son mari était lui-même écrivain et diplomate. On reconnaît la précision et le « fini » d'INGRES mais aussi ses audaces en particulier dans le reflet tout à fait improbable dans le miroir.

Le portrait a donc une place de choix dans cette collection mais M. FRICK aimait également le paysage. Les grands paysagistes anglais ne sont pas oubliés avec tout d'abord CONSTABLE. La cathédrale de Salisbury (1826) est acquise en 1908 par M. FRICK. C'est un des sujets de prédilection du peintre car il avait comme mécènes et amis, l'évêque de Salisbury, John FISHER ainsi que son neveu. On voit d'ailleurs ces personnages au premier plan mais grâce à l'intelligence du travail de composition, l'œ,il est recentré sur la cathédrale par l'inclinaison des arbres qui l'encadrent.

Constable : Cathedrale de Salisbury


Pour terminer, voici quelques tableaux français d'un bout à l'autre du XIXème siècle : Le batelier à Mortefontaine (1865-1870) est acquis en 1903 par M. FRICK qui adorait COROT. Rien ne correspond à la réalité dans ce paysage qui est une évocation poétique de la nature (le tempietto est un souvenir d'Italie). La qualité technique est remarquable. COROT est autant l'héritier de Claude GELLEE et de POUSSIN qu'il est le précurseur des impressionnistes.

La Femme cousant près d'une lampe (1870-72) par Jean-François MILLET acquise en 1906, est tout à fait sous l'influence hollandaise du XVIIème siècle avec ce clair-obscur appuyé. M. FRICK, amoureux de cette école hollandaise, y portait donc un double intérêt.

Enfin voici RENOIR avec un tableau magnifique : Mère et enfants (1876-78). C'est un achat de M. FRICK en 1914 , le tableau était dans la plus belle collection impressionniste américaine, la collection POTTER PALMER à Chicago. C'est encore la période impressionniste de RENOIR et l'on pense à Madame Charpentier et ses enfants du Metropolitan Museum.

Voici donc un panorama de la peinture française et anglaise des XVIIIème et XIXème siècles, telle que l'on peut l'admirer dans cette magnifique collection, d'une unité dans la qualité absolument .

remarquable.
Serge Legat


Portrait de admin

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