Arbres dans la ville

Trop d'arbres tuent l'arbre

Avec 'Des arbres dans la Ville' (Editions Actes Sud), Caroline Mollie architecte paysagiste lance un pavé dans la mare. Ou une volée de bois vert plus particulièrement à l'égard des collectivités qui sous pretexte d'écologie ne tiennent pas compte de la vie des arbres. Bref, de la nature. Elle répond aux questions de toutpourlesfemmes.com.

Vous venez de publier « Des arbres dans la ville ». Nous sommes dans une période où la préoccupation écologique n'a jamais été aussi aigüe. Vous pensez que planter la ville est une réponse ?

Caroline Mollie : Tout le monde aime les arbres, et de plus en plus ! L'arbre, par son volume, sa longévité et la charge affective dont il est doté, représente le témoin, l'emblème de la ville verte. Au point qu'il devient victime de son succès.

Pour la collectivité, planter la ville participe sans conteste à son engagement en faveur des équilibres écologiques de la planète.

Pour répondre à une demande croissante, les collectivités plantent. Mais beaucoup trop, et dans des conditions souvent contestables. La quantité l'emporte sur la qualité, le décor sur la présence, la précipitation sur la pérennité.

Pour faire du nombre par exemple, on multiplie les plantations dans des rues étroites ou dans des bacs. Comment espérer de belles frondaisons avec peu de terre et peu de lumière ? Pour faire de l'effet immédiat, on transplante de très gros sujets en négligeant les chocs qu'ils subissent et qui entravent leur croissance pendant une demi-décennie. Le kit végétal est pour moi une imposture à la nature. Il nie le temps du végétal qui inscrit la durée dans la ville.

Le rideau d'arbre devient ainsi rideau de fumée. On ne peut affirmer aujourd'hui que les générations futures bénéficieront d'un patrimoine arboré de qualité équivalente à celle que nous ont légué nos anciens.

De belles frondaisons - Paris Alésia - Crédit : Vincent Rieusset


Mais on dit que les arbres permettent de lutter contre la pollution

Caroline Mollie : C'est exact. L'efficacité des arbres face à la pollution est parfaitement reconnue. Un seul hêtre de 25 mètres de haut et de 15 mètres de couronne peut fixer le CO2 produit par 800 appartements ! Une surface arborée de 100 mètres de large augmente de 50% l'humidité atmosphérique. La quantité de poussières filtrée par les végétaux qui peut atteindre une tonne par hectare planté et par an

*Cité dans L'arbre en milieu urbain de Charles-Materne Gillig, Infolio éditions, 2008
.

C'est dire l'importance de la couronne des arbres. Mais aussi du système racinaire. Souterrain et donc invisible il est trop souvent négligé alors qu'il garantit une belle croissance. Je plaide pour de belles frondaisons et j'affirme qu'un bel arbre parfaitement développé et indemne de tout élagage est préférable à une multitude de petits sujets malingres et vulnérables à la maladie.

Que doivent donc faire les villes ?

Caroline Mollie : Je propose donc aux villes d'afficher leurs efforts pour des plantations en faisant état des volumes de frondaisons ou de leur surface projetée au sol plutôt qu'au nombre d'arbres. A la lumière de ce mode d'appréciation, il serait sain d'abattre un arbre sur deux en ville, permettant ainsi aux sélectionnés de développer d'amples couronnes. Adolphe Alphand chargé par Naploléon III de l'embellissement de Paris préconisait déjà cette mesure dans son célèbre ouvrage, Les promenades de Paris..

*Alphand, A., Les Promenades de Paris, Paris, Rothschild éditeur, 1867-1873, réédité par Princeton Architectural Press, 1984
.

Faut-il alors planter des arbres ou ne pas en planter ?

Caroline Mollie : Il faut planter des arbres dans la ville, mais pas n'importe comment ! Nous avons en France une vieille tradition de plantations urbaines qu'il convient de moderniser. Henri IV et François 1er encourageaient la plantation d'allées de promenade et de mails dans toutes les villes de France, Louis XIV a inventé avec Le Nôtre la ville classique basée sur la promenade plantée. Ce modèle s'est développé au XVIIIe siècle dans toutes les grandes villes de France. Il a inspiré outre-Atlantique le plan de Washington. Il a été repris et adapté aux critères de l'époque par Napoléon III.et a connu alors une diffusion internationale.

Aujourd'hui nous sommes en France prisonniers de ce modèle régulier et ordonnancé : alignements d'arbres et excès de densité. Il serait souhaitable de s'inspirer d es pays du Nord de l'Europe qui développent une grande diversité de lieux où l'arbre trouve sa juste place, accompagné de pelouses, d'arbustes et de fleurs. Il convient également d'accepter que certaines villes puissent ne pas être plantées. Les villes italiennes en sont le magistral exemple.

On parle beaucoup depuis quelques années de mur végétal. Celui du musée du quai Branly a d'une certaine façon été montré comme le précurseur d'un nouveau mode architectural. Revues spécialisées, émissions de TV vont même jusqu'à donner des conseils pour réaliser son propre mur végétal chez soi. Qu'en pensez vous ?

Caroline Mollie : Le botaniste Patrick Blanc, l'initiateur du mur végétal et concepteur de celui du quai Branly a lancé une très belle idée. Mais, comme pour les arbres, un excès d'engouement peut se retourner contre le projet. Je suis assez circonspecte sur la multiplication des murs végétaux qui demandent un entretien important et des connaissances avancées pour bien gérer la croissance des plantes entre elles.

La nature nous offre des palettes exceptionnelles de plantes grimpantes, annuelles ou sarmenteuses qui, à moindre frais et avec un minimum d'entretien, peuvent couvrir et animer d'importantes surfaces minérales. Des mélanges de persistantes et de caduques échelonnant les floraisons dans le temps peuvent produire des effets spectaculaires. Pourquoi s'en priver ?

Lire aussi
- Des arbres dans la Ville, co-édité par Actes Sud et Cité Verte
- Cité Verte, présidé par Erik Orsenna


Ecouter et voir aussi l'interview vidéo réalisée par l'Agence Thetapress



Par Elsa Menanteau

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