Jean-Pierre Pincemin (1944-2005)

Jusqu'au 19 septembre 2010.

Voici une belle exposition à ne pas manquer : Jean-Pierre Pincemin au musée des Beaux-Arts d'Angers. Jean-Pierre Pincemin, artiste inclassable, déroutant, animé par le souffle de la liberté, décédé en 2005 après une vie consacrée à explorer les chemins divers de la peinture. Le musée d'Angers met en regard ses premières et ses dernières oeuvres pour un intéressant dialogue. Visite.




C'est le souffle de la liberté, la puissance et la diversité de l'expression artistique de Jean-Pierre Pincemin qui frappent à première vue lorsque l'on visite cette exposition, que ce soit pour les grands formats ou les petits du 'musée de poche'. Figuratif, abstrait, adhérant un bref moment au mouvement Supports-Surfaces, chercheur insatiable sur le chemin de la peinture, au-delà de tous mouvements, de toutes écoles, Jean-Pierre Pincemin trace sa propre route artistique.


Des oeuvres en dialogue

'Le musée des Beaux-Arts d'Angers a organisé en 1997 une exposition rétrospective de l'oeuvre de Jean-Pierre Pincemin. Nous voulions changé le regard sur son travail par rapport à cette présentation, explique Christine Besson, commissaire de l'exposition et conservateur aux musées d'Angers. Aussi, avons-nous pris le parti de montrer les dix premières années et les dix dernières années de ce travail et de présenter ces deux « périodes » en regard.' Angers expose donc, en face à face, d'une part les grandes toiles libres des années 1967-1976, d'autre part les œ,uvres de la fin de carrière, depuis les toiles inspirées des civilisations orientales jusqu'aux œ,uvres où Jean-Pierre Pincemin reprenait et exacerbait un motif abstrait sur de très grands formats. Plus que les différences entre les oeuvres, ce dialogue met en relief leur parenté et la cohérence de l'évolution de Pincemin. La scénographie renforce cette confrontation et c'est la jubilation de la peinture qui s'exprime.

A noter dans cette exposition l'espace particulier consacré à un aspect émouvant et plus secret de l'oeuvre de Pincemin : les petites peintures sur papier qui constituent une manière de 'musée de poche' selon la formule de l'artiste. Ces petits formats qu'il affectionnait particulièrement ne sont pas des esquisses pour ses grands tableaux, mais sont peints a posteriori, ou pour illustrer des poèmes ou des livres. Proches de la miniature, ils se dégustent comme une visite privée dans l'ensemble de son oeuvre.

Enfin, ce parcours de peinture est ponctué d'une dizaine de sculptures, assemblages joyeux de matériaux de récupération, qui, par leur picturalité, sont indissociables du reste de l'oeuvre.

Si Angers rend hommage à Jean-Pierre Pincemin, c'est aussi parce que le peintre a enseigné à l'École des beaux-arts de la ville entre 1987 et 2001, assez longtemps et de manière assez forte pour y avoir laissé l'empreinte de son aura, sa personnalité, sa manière d'enseigner et sa qualité d'écoute.



L'organisation de la surface colorée

« Jean-Pierre était dans la peinture. Il a toujours été dedans. [...] Parfois le personnage était presque dans le prolongement du tableau. »

*« Entretien avec Henri-Jacques Charles », in Jean-Pierre Pincemin, Tanlay, Centre d'art de l'Yonne, 2008,p. 43.

A 17 ans, muni d'un CAP, Jean-Pierre Pincemin commence sa carrière comme tourneur en usine. Le jeune homme, passionné d'art, de cinéma et de jazz, est également assidu au musée du Louvre et dans les galeries parisiennes. A 23 ans, il commence à peindre sérieusement et abandonne définitivement son métier de tourneur. «Être artiste relève avant tout d'une décision, non d'un apprentissage ou d'un savoir faire», dit-il.

C'est par un travail de l'empreinte que débute véritablement sa pratique artistique. Des morceaux de tôle, des briques, ou d'autres types d'éléments récupérés, sont plongés dans la peinture puis promenés sur la toile. Ce geste ancestral de plonger un objet, puis les mains, puis les bras, dans la couleur baptise en quelque sorte Jean-Pierre Pincemin et le fait entrer de plain-pied dans la création d'avant-garde. Dès les « Empreintes », Pincemin prend clairement position sur la scène contemporaine en faveur de la distanciation du peintre par rapport à son objet. Tout en continuant à admirer les oeuvres des maîtres anciens au Louvre, il s'intéresse aux peintres américains contemporains, à l''action painting', aux grands formats qu'il affectionne particulièrement.


Dans son atelier, Pincemin poursuit ses recherches, il s'interroge sur la réalité de ce qu'on voit et sur la matérialité de la peinture. Il conçoit alors une organisation répétitive de l'espace, dont les séquences sont dictées par des chaînes mathématiques élémentaires. Le mode opératoire fait partie de l'oeuvre. Il commence avec la découpe de la toile —, ou du drap, car il récupère alors la majorité de ses matériaux —, en morceaux réguliers. Puis chaque élément est plongé de manière similaire dans la teinture, qu'il utilise de préférence à la peinture jusqu'au début des années 1970. Les morceaux sont ensuite assemblés selon le schéma préétabli, et la toile est exposée « libre », c'est-à-dire sans châssis. La manière dont la teinture a pénétré la fibre de la toile, les variations de couleur qui résultent de l'absorption non homogène de la matière sont mises au premier plan. Dans ses sculptures dites « Stûpas », des constructions de morceaux de bois en quinconce, Pincemin recherche le même type de profondeur et de parfait équilibre fondé sur un système.



La série des « Palissades », des bandes horizontales et verticales qui font penser à des planches ajustées, entamée au début des années 1970, s'appuie sur les expérimentations faites dans les « Carrés Collés ». La toile est découpée en morceaux beaucoup plus grands, et leur assemblage est simplifié. Chaque morceau est gorgé de peinture, puis une colle colorée les fixe ensemble, selon un schéma simple de bandes verticales ou perpendiculaires, comme un frontispice élémentaire. Le traitement de la toile en éléments distincts, l'assemblage, et l'absence de châssis, mettent en valeur le raidissement du drap par la peinture et l'effet architectural de ce type d'oeuvre.
Ce travail de réflexion sur le support, la peinture et l'effet structurant de la répétition prend tout son sens par rapport à la démarche du groupe Supports/Surfaces dont Pincemin se rapproche un temps.

Pincemin structure ensuite ses toiles de façon différente avec 'les arabesques'. Il supprime ainsi l'immobilité de ses premières oeuvres et s'ouvre de nouveaux champs de création. Les arabesques évitent le système de la trame mais, comme elle, organisent une circulation strictement bidimentionelle au sein de l'oeuvre.


La figuration

Les sujets de la première série figurative viennent du folklore indien, pays mis à l'honneur par les institutions françaises en 1985. Pincemin découvre dans l'art indien des images d'éléphants, d'arbres, de feuilles, qui deviennent pour lui les sujets d'une représentation non référentielle.

C'est ce même type de figuration qu'il développe en gravure. Après la phase initiale durant laquelle il modifie son trait, passant de la diagonale à l'arabesque, la gravure devient rapidement le lieu d'une importante expérimentation de formes figuratives. Cette discipline, souvent considérée comme marginale, offre à Jean-Pierre Pincemin un lieu propice à l'expérimentation. Totalement autodidacte, il modifie et invente des techniques nouvelles, travaille chez différents graveurs, et réalise un grand nombre de plaques dans son propre atelier.



S'intéressant de plus en plus à l'histoire de la représentation, Pincemin s'inspire de fables du Moyen Age, de l'imagerie chrétienne ou d'estampes japonaises, d'oeuvres appartenant à son Panthéon personnel. Il revisite souvent des œ,uvres classiques très connues en leur appliquant la structure élémentaire sur laquelle il a réfléchi dans l'ensemble de sa production.

Les créations de Pincemin ne suivent pas vraiment un ordre chronologique. On pense qu'il travaillait sans doute sur plusieurs oeuvres à la fois, plusieurs formats et plusieurs thèmes différents, faisant sans cesse des allers retours sur ses créations. Jean-Pierre Pincemin est mort le 17 mai 2005 à Arcueil (92). La plupart de ses œ,uvres ne portent aucun titre.




La 'cuisine' de Pincemin

Si l'on connait l'essentiel des matières utilisées par Pincemin dans ses créations, on en ignore bien d'autres, son côté alchimiste... Car si l'on sent dans ses oeuvres sa jubilation à sans cesse expérimenter les techniques et les supports, on perçoit le même plaisir à explorer l'effet des matières, pour réaliser des épaisseurs ou des transparences, ou encore des glacis ' à la Véronèse', un peintre qu'il admirait particulièrement. Au rang des 'ingrédients' employés par l'artiste, on trouve des classiques : peintures et pigments fins achetés chez Sennelier et Marin, aquatinte au sucre, et des non- classiques : pâte à modeler, fonds de pots de peinture pour carrosserie, résidus de colles antiques, draps d'hôpitaux, toile à matelas, planches, tôles, grillages carrés de toile trempés dans la peinture, fils de fer anciens, et autres fragments mystérieux et morceaux de matériaux, le tout récolté par ce grand récupérateur, dans les décharges, aux Puces ou ailleurs.

(Avec des extraits du texte de Déborah Laks
paru dans le catalogue Jean-Pierre Pincemin)







Video de l'exposition au musée des Beaux-Arts d'Angers

exposition Pincemin pour validation from Liliwater on Vimeo.




- Jean-Pierre Pincemin (1944-2005)
du 8 mai au 19 septembre 2010
- Musée des Beaux-Arts d'Angers
14, rue du musée —, Angers
- Horaires d'ouverture :
tous les jours de 10h à 18h30
- Tarifs : 4 € / 3 €

Commissaire de l'exposition : Christine Besson

Directeur des musées d'Angers : Patrick Le Nouëne, conservateur en chef du patrimoine.
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Par Nicole Salez

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