Viol : Pourquoi Porter Plainte ?

Une interview d'Elisa Aboucaya, avocate au barreau de Paris

Alors que l'actualité revient régulièrement sur des cas d'agressions sexuelles, toutpourlesfemmes a interrogé Me Elisa Aboucaya, avocate au barreau de Paris, sur ce que doivent faire les victimes d'un viol.
'Il faut porter plainte pour éviter d'autres agressions et pouvoir commencer à se réparer'. Me Aboucaya qui est intervenue dans de nombreuses affaires de violences sexuelles, a également été formée à la psychanalyse. Interview.

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Après une partie de sa formation et de sa vie professionnelle centrée autour de la psychanalyse et de la maladie mentale, Elisa Aboucaya a fait des études de droit pour aborder le passage à l'acte du côté de la loi. Ses conseils aux victimes de viols et de violences sexuelles.


1) Chaque année en France, environ 14% des femmes sont victimes de viols ou d'agressions sexuelles. Des hommes aussi (environ 4%). Quelle est pour vous la première chose à faire après une agression?

Il faut rappeler que le viol est constitué dès qu'il y a acte de pénétration, par violence, menace, contrainte ou surprise. C'est à dire sans consentement.
Le viol est un crime aux yeux de la loi. On ne doit pas se taire devant un crime.

Un adulte agressé sexuellement, s'il est bien sûr en état de le faire, doit d'abord penser au risque des MST (maladies sexuellement transmissibles). Idéalement, il faudrait résister à la tentation immédiate de se laver et aller -le plus rapidement possible selon les circonstances- consulter un médecin qui pourra prescrire un traitement préventif anti -HIV, constater les éventuelles blessures ou pratiquer un prélèvement qui pourrait permettre d'identifier l'auteur de l'agression.


Consulter un médecin le plus rapidement possible

A Paris, lorsqu'elles portent plainte dans un commissariat, les victimes sont invitées à se rendre aux Urgences Médico-Judiciaires de l'Hôtel Dieu. Mais on peut aussi appeler SOS Médecins, ou consulter le médecin de son choix. L'important c'est de pouvoir prévenir les risques et procéder à des examens et prélèvements qui deviendront éventuellement des éléments de preuves.

La plainte doit être enregistrée. Cela peut se faire de trois manières :
- soit par une lettre recommandée AR (dont il faut conserver un double) auprès du Procureur de la République du tribunal le plus proche ,
- soit déposer plainte auprès d'un commissariat ou d'une gendarmerie ,
- soit déposer plainte auprès du doyen des juges d'instruction du tribunal.

Attention : une main courante est insuffisante : il faut porter plainte.
Les conseils d'un avocat permettront de choisir la procédure la plus adaptée selon la gravité et l'urgence des conséquences.




Le délai de prescription pour les mineurs porté à 20 ans


2) La loi permet aujourd'hui à une personne (mineure au moment des faits) de porter plainte jusqu'à 20 ans après sa majorité. Pourquoi, selon vous, est-ce tellement important de porter plainte, même longtemps après ?

Les victimes doivent savoir que la législation a évolué. La durée du délai de prescription est passée de 10 à 20 ans depuis 2004, ce qui permet de porter plainte au plus tard à l'âge de 38 ans (28 ans pour les victimes nées avant le 9 mars 1976). Les délais ont été rallongés car on considère qu'un enfant ou un adolescent victime (surtout lorsque l'agression a lieu dans la sphère familiale) a besoin de temps pour pouvoir dénoncer ce qu'il a subi et demander que justice soit rendue. Certains n'arriveront jamais à en parler.

Pourtant, la prise de parole permet à la victime qui a été prise comme objet de redevenir un sujet. C'est souvent au prix de ce travail sur
« l'effraction » et ses conséquences que la réparation pourra se faire.

Les victimes ont longtemps été « oubliées », traitées en parentes pauvres de la procédure. Aujourd'hui, dans un mouvement inverse, j'observe une tendance lourde de la société et de la loi à les remettre au centre du procès, parfois en le dénaturant. Mais c'est un autre débat que celui sur le sens du procès pénal....

Quoiqu'il en soit, un vrai chemin a été parcouru pour faire émerger la parole des femmes depuis les années 1970, et l'on peut aujourd'hui parler plus ouvertement de sexe et de viol. La loi a évolué dans le sens d'une parole plus libre et, dans nos sociétés, les victimes ne sont plus montrées du doigt.

Toute victime a droit à un avocat gratuit

Cela ne veut pas dire pour autant qu'elles soient bien traitées, ni qu'on leur « déroule un tapis rouge »! L'accueil dans les commissariats de police est inégal. Le fait de prendre un avocat dès que possible simplifie les choses : il ou elle prendra en charge toutes les démarches qui peuvent se faire sans la victime, et il l'aidera à effectuer les autres. Vous pouvez aussi recueillir des informations auprès des associations qui proposent des services ou aides diverses (Paris Aide aux Victimes. SOS femmes : www.sosfemmes.com...etc).

Si elle dépose plainte dans un commissariat ou une gendarmerie, une liste d'associations d'aides sera remise à la plaignante.
La mise en action d'un processus judiciaire permet de revenir dans la réalité et dans la loi. Elle permet aussi au sujet de se retrouver, de quitter l'imaginaire.

3) Comment trouver un avocat pour se faire aider ? Combien ça coûte ?

Il est important de savoir que toute victime a droit à l'Aide juridictionnelle, sans condition de ressources, c'est-à-dire qu'elle a droit -quels que soient ses revenus —,de demander que lui soit désigné un avocat « gratuit » dont le coût est pris en charge par l'Etat.

L'avocat lui expliquera, en fonction des faits qu'elle a subis (anciens ou récents), la suite prévisible. Il faut donc se rendre à la mairie ou tribunal d'instance de sa ville, ou au tribunal de grande instance le plus proche et y retirer un dossier au Bureau de l'Aide juridictionnelle. On peut aussi s'adresser à l'Ordre des Avocats (il en existe dans chaque tribunal).

L'avocat vous indiquera la procédure la mieux adaptée à votre cas. Vous pouvez aussi choisir votre avocat, que vous pouvez soit rémunérer vous-même, soit, s'il l'accepte, lui demander de vous assister au titre de l'aide juridictionnelle. Dans ce cas, il vous remettra une lettre d'acceptation qui sera jointe à votre demande d'AJ (aide juridictionnelle).
Le coût de l'avocat n'est donc pas un obstacle et il ne faut pas hésiter à y recourir.

4) Comment cela se passe ensuite ?

Le parquet ouvre une enquête et délègue à la police les premières investigations, auditions de témoins, recueil, le cas échéant, des premiers indices...
La plaignante est entendue par les services de police auxquels elle doit raconter, avec le plus de détails possibles, ce dont elle se souvient, et donner, si elle la connaît, l'identité de son agresseur.

Attention : la soi-disant victime d'une agression imaginaire ou insuffisamment démontrée risque une condamnation pour dénonciation calomnieuse : une peine de prison (qui peut théoriquement aller jusqu'à 5 ans) et une amende en dommages et intérêts (jusqu'à 45 000 €)

Au stade des investigations policières, on peut présenter à la plaignante un groupe de personnes derrière une glace sans tain et lui demander si elle reconnaît son ou ses agresseurs.
Au stade ultérieur, lorsqu'un juge d'instruction est saisi, la victime peut désigner (ou demander que lui soit désigné) un avocat. Elle sera généralement entendue au moins une fois par le juge, dans son bureau. Mais, désormais, elle sera assistée de son conseil.

Enfin, au stade du procès, la victime se constituera« partie civile », ce qui lui permettra de demander des dommages et intérêts devant le Tribunal ou la Cour d'Assises.


Porter plainte, c'est se protéger

En règle générale, les agressions sexuelles sont examinées devant les tribunaux par des magistrats professionnels, alors que les viols (qui sont des faits criminels) sont jugés par un jury populaire ( 3 magistrats professionnels et 9 jurés tirés au sort sur les listes électorales).
Pour la victime, la confrontation avec l'auteur de l'agression est un moment difficile, qui peut être traumatisant. L'avocat l'aidera à s'y préparer.
L'auteur de l'agression doit indemniser la victime. S'il n'en a pas les moyens, l'avocat saisit la CIVI, caisse d'indemnisation des victimes d'infractions, qui indemnisera la victime.
L'ensemble de la procédure dure en moyenne de 2 à 4 ans, parfois plus pour les affaires complexes.

5. Vous avez suivi une formation de psychologue clinicienne avant de devenir avocate. Porter plainte devant la justice est pour vous le moyen de se reconstruire. Pourquoi les femmes victimes d'agressions sexuelles ont-elles tellement de mal à parler de ce qu'elles ont subi, au point que peu portent plainte ?

Elles ont souvent peur des mesures de rétorsion de leur agresseur. Et également des réactions de leur entourage.
La seule façon de contrer cette peur c'est de porter plainte et que cela se sache car c'est le plus sûr moyen d'être protégé. Si l'auteur des faits est identifié, dès lors qu'il y a plainte ou des éléments de preuve contre lui, le juge va interdire au prévenu de s'approcher de la victime. Le silence n'a jamais empêché le danger. C'est la publicité donnée aux faits qui constitue le meilleur rempart pour la victime.


Il faut aussi lever la culpabilité

Toutes les victimes décrivent une culpabilité qu'elles ressentent. Pour avoir été « choisies ». Elles se demandent : Pourquoi moi ? Qu'est-ce que j'ai fait pour être « choisie » ? Pour ne pas m'être défendue. Pour n'avoir rien dit. La jeune fille qui va chez un garçon mais qui n'est pas prête à « aller jusqu'au bout », qui est restée passive parce qu'elle a eu peur, se sent coupable de s'être laissée faire. Elle aussi doit porter plainte.

Il faut dire aux jeunes filles que lorsqu'elles disent non, leur« non » doit être entendu. Il y a différentes manières de dire non. Le viol c'est l'absence de consentement, dans tous les cas, il faut quand même parler.


Dans la sphère familiale

6-La loi du 8 février 2010 a inscrit l'inceste dans le Code pénal. Désormais, les agression sexuelles commises sur des mineurs par une personne de sa famille sont, elles aussi, mieux prises en compte par la loi.

Dans la sphère familiale, c'est encore plus compliqué. Or je dirais que deux tiers environ des viols et agressions sexuelles qui sont dénoncés ont lieu au sein de la sphère familiale. Lorsque c'est le père qui commet l'acte incestueux, il n'a pas enseigné à l'enfant les limites que l'adulte se doit de transmettre. Au contraire, il les transgresse. La loi de l'interdit de l'inceste est la loi fondamentale de toute société.
L'inceste rend impossible la construction de soi car celui qui est censé transmettre la loi l'a transgressée, alors que les limites sont essentielles à la structuration de tout individu. Il faut donc absolument remettre de la parole là aussi pour que la victime puisse devenir adulte. C'est pourquoi il est si important d'agir quel que soit l'âge. Il faut parler, et le plus tôt possible sinon, le temps passant, arrive un moment où on ne peut plus ni dire, ni être entendu.


Il faut parler et le plus tôt possible

Il faut parler à quelqu'un de proche, consulter un avocat, un psy, une association, se faire aider. Ou, si l'on n'arrive pas à parler, écrire.
Les dispositions nouvelles de la loi de février 2010 sur l'inceste rendent obligatoires, dès lors qu'un mineur a été victime d'inceste, la désignation d'un administrateur pour agir à la place du représentant légal. C'est-à-dire, une personne extérieure à la famille qui assistera le mineur pendant toutes les phases de la procédure.

Dénoncer quelqu'un de sa famille est encore plus difficile car il y a de l'amour dans la famille. Mais il faut le faire, pour soi, pour les autres membres de la famille et même pour l'auteur.
Je n'ai personnellement jamais vu aucun violeur ou agresseur qui n'ait été lui-même victime dans son enfance. Il faut que la loi de la société passe. Le verdict entraîne un effet de catharsis pour la victime et le début d'un travail de réparation, y compris, dans le meilleur des cas, pour l'agresseur.


A connaître :

- numéro d'urgence depuis un portable : 112
- SOS VIOLS : 0800 05 95 95 (numéro gratuit et anonyme)
- SOS enfance en danger : 119 (numéro vert gratuit)
- Numéro national d'assistance aux victimes : 0884 28 46 37 ( 7 jours/7 de 9h à 21h)
- www.allo119.gouv.fr

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Par Gisèle Prévost et expert home

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