Shoko Yamaguchi, directrice du bureau parisien du Sankei Shimbun

Shoko Yamaguchi est la première femme dans la grande presse japonaise à occuper le poste de directrice de bureau dans une grande capitale mondiale, en l'occurence Paris. Elle est l'auteure de plusieurs livres sur la France et a également traduit en japonais des ouvrages de Françoise Giroud et Benoîte Groult. Voici ce qu'elle disait le 6 février 2009 à propos des difficultés éprouvées par les journalistes japonais pour diffuser dans l'Archipel des informations sur la politique ou la vie courante en France.




'C'est un grand honneur pour moi d'être parmi vous mais je dois avouer
que j'ai longuement hésité avant d'accepter de participer à cette
conférence : cet échange de vues est très intéressant mais la plupart
de mes confrères connaissent ici mieux que moi l'actualité de la
politique française. Cependant je vais me jeter à l'eau. Cette
intervention est une occasion pour moi d'expliquer les difficultés que
les journalistes japonais ont à diffuser des informations sur la France.

Tout d'abord, comme vous le savez, il existe un décalage horaire
important d'environ 8 heures. Les quotidiens au Japon ont tous deux
éditions : le matin et le soir. Celle du soir est réservée essentiellement
aux informations sur le Japon. Comme tout journaliste j'ai été amenée
à parler de l'intervention de M. Sarkozy d'hier soir.

*ndlr : Interview de Nicolas Sarkozy Jeudi 5 février 2009 sur France 2. Nicolas Sarkozy répondait aux questions de David Pujadas et Laurence Ferrari sur la crise, sa politique économique, le plan de relance, les réformes, les aspects internationaux
J'ai écrit à peu près
80 lignes que l'on ne m'a pas passées dans l'édition du soir. Avant de
venir, j'ai téléphoné au Japon pour demander si cet article passait dans
l'édition du matin et l'on m'a répondu qu'il n'y avait pratiquement plus
de place et l'article a donc été réduit à 15 lignes. C'est un exemple que
je voulais donner.

La France malheureusement passe au second plan pour les journaux
japonais qui accordent une plus grande importance aux pays voisins
asiatiques du Japon et aux Etats-Unis, pays qui ont une influence
politique et économique sur notre pays. J'envoie presque tous les deux
jours un article sur la France : politique intérieure, politique extérieure,
vie courante, etc. J'essaie de faire comprendre et apprécier la France à
mes compatriotes. Mais ma rédaction à Tokyo ne choisit seulement
que quelques articles. Par exemple, l'article sur la manifestation du 29
janvier qui regroupait plus de 2 millions de personnes, illustré par une
photo, a été passé dans son intégralité et j'ai l'impression que c'était
grâce à la photo qui était impressionnante. Ensuite l'article sur le plan
de relance de 26 milliards d'euros annoncé par Nicolas Sarkozy à la fin
de 2008 n'a pas été coupé non plus et je pense que c'est à cause de la
crise économique mondiale qui est un problème commun entre le
Japon et la France.

En dehors de la crise, un autre sujet sur la France a fait beaucoup
parler de lui au Japon. C'est un article sur le jury populaire institué par
la Révolution française et dont le Japon s'est inspiré pour établir un
nouveau système qui va entrer en vigueur en mai prochain. Pour ce
faire, j'ai interviewé 2 juges qui ont été au Japon afin d'échanger avec
leurs collègues japonais leurs point de vue. Cet article a été l'occasion
pour moi de rappeler les liens historiques qui unissent la France et le
Japon. Notre pays a ainsi importé depuis la révolution Meiji (1868) une
partie importante de la législation française et de son système
judiciaire
.

Autre sujet qui a fortement touché le Japon : un article que j'ai fait sur
la différence des taux de natalité entre les deux pays. J'ai ainsi parlé de
l'augmentation importante du taux de natalité en France : 2,02 enfants
par femme alors qu'au Japon, c'est 1, 24 enfant par femme (20ème rang
dans le monde). Cela est dû essentiellement au modèle social français
envié par beaucoup de pays dont bien sûr le Japon : sécurité sociale,
remboursement des frais d'accouchement, des traitements contre la
stérilité , etc, etc.

En dehors des différences de modèle social, le Japon et la France
s'écartent sur le plan des mentalités . La France se montre plus libérale
à cet égard et je voudrais rappeler quelques statistiques : actuellement
les naissances hors mariage représentent 52% (en 1970, seulement
6%) de l'ensemble des naissances. De surcroît, sur l'acte de naissance
en France la mention « enfant naturel » a été supprimée depuis 2005,
ce qui n'est pas le cas au Japon. Dans notre pays, il y a une grande
inégalité quant au traitement des enfants légitimes et illégitimes alors
qu'en France, ils ont à peu près les mêmes droits, ce qui confirme
l'évolution des moeurs. Il y a une dernière différence, celle des mères
célibataires
sur lesquelles j'ai écrit un article sur les plus connues :
Rachida Dati, Ségolène Royal, la fille de Jacques Chirac, etc, etc. Au
Japon, cela reste scandaleux et je pense que tout cela influence aussi
le taux de natalité.

Je voudrais parler d'une exception française. J'ai été très frappée par le
phénomène de « l'Obamania à la française ». On en a parlé aussi
beaucoup au Japon mais en France, tous les magazines français
avaient fait leurs couvertures avec Obama ou le couple Obama. J'en ai
été stupéfaite mais je crois que les Français ont une grande attente
dans l'amélioration des relations franco-américaines qui s'étaient
détériorées surtout au moment de la guerre en Irak et à cause de leur
détestation de Georges Bush. Obama incarne pour les Français le rêve
américain malgré un antiaméricanisme endémique décrit par Jean-
François Revel il y a quelques années. Ce rêve est un peu magique, me
semble-t-il, pour vos compatriotes. J'explique cela de cette manière : la
France fait partie de la vieille Europe alors que les EU représentent le
nouveau monde.

Il me semble que cette « Obamania à la française » trouve également
ses racines dans la déception et le mécontentement des Français à
l' égard de la politique de Nicolas Sarkozy : les réformes ont du mal à
passer auprès de l'opinion et l'opposition politique pour le moment
n'est pas encore audible malgré l'élection de la première secrétaire du
parti socialiste, Martine Aubry. C'est pour cette raison que je trouve
que les Français sont un peu dans l'impasse et voit leur avenir de façon
un peu pessimiste. Les Français cherchent une étoile et Obama est en
quelque sorte tombé du ciel si je puis dire. C'est du moins ce que j'ai ressenti.

En guise de conclusion, je voudrais parler du problème de l'image de la
France au Japon
. Pour les Japonais, la France reste avant tout le pays
du luxe, de la mode, de la gastronomie, du cinéma. Les journalistes
japonais qui s'occupent de ces questions en France ont plus de chance
de voir passer leurs articles que moi les miens. Pour moi, la France est
un grand pays de culture, l'exposition Picasso et les Maitres au Grand
Palais en est l'illustration. J'ai été très surprise par le monde que cette
exposition a attiré et les derniers jours le Grand Palais est resté ouvert
24h sur 24. Quand je suis entrée dans la première salle, je me suis dit,
c'est ça la France. J'ai trouvé les autoportraits de Picasso mais aussi
ceux de Cézanne, Goya, Delacroix, Poussin, etc. Il n'y a qu'à Paris et
non pas à New York ni à Tokyo que l'on peut trouver une exposition
aussi grandiose.

Mais il n'y a pas que cela en France. C'est un pays de grande
diplomatie, et militaire. Pour les Japonais, il est impensable que le 14
juillet, la fête nationale française, qu'il y ait un défilé militaire sur les
Champs Elysées. Pour eux, c'est seulement la fête parisienne. Dans
mes articles, j'ai toujours essayé de corriger cette image mais je ne
pense pas y être arrivée.

Pour les Japonais, la priorité ce sont toujours les EU. Je vous donne un
exemple, j'ai fait un article sur les mesures sociales annoncées par M.
Sarkozy mais pour mon journal l'important, est la visite de Mme Clinton
au Japon le 16 février. Pour moi, ce qui est important ce sont les pays
européens. Pour les Japonais, c'est qui est prioritaire c'est l'Angleterre
parmi ceux-ci et pour eux c'est le premier d'entre eux alors qu'elle ne
fait même pas partie de la zone euro. J'essaie de démontrer dans mes
articles que la France est parmi les plus grands pays de la
Communauté européenne et voudrais continuer dans cette voie aussi
longtemps et correctement que possible.


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Shoko Yamaguchi est la première femme dans la grande presse japonaise à occuper le poste de directrice de bureau dans une grande capitale mondiale. Elle est l'auteure de plusieurs livres sur notre pays, dont Histoire du Palais de l'Elysée publié en 2007. Elle a également traduit en japonais des ouvrages de Françoise Giroud et Benoîte Groult.


- Cette intervention de Shoko Yamaguchi a eu lieu le 6 février 2009 dans le cadre d'un échange de vues organisé par l'APFJ (Association de presse France-Japon).

- APFJ : Contact : apfj@orange.fr - Tél: 01 44 37 95 39

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