100 ans, c'est l'âge que Nino Rota, qui composa les bandes originales des plus grands films de Federico Fellini, aurait eu cette année. Voici que le prodigieux accordéoniste Richard Galliano, qu'aucun type de musique, classique ou non, n'effraie, lui rend hommage avec un nouvel album : 'Richard Galliano - Nino Rota'. Un CD Deutsche Grammophon / Universal à offrir absolument pour les fêtes. Richard Galliano sera en concert le 16 novembre 2011 à Paris, salle Pleyel.

Il est des associations musicales qui font sens avant même que la première note ne se fasse entendre. Richard Galliano et Nino Rota (1911-1979) : ces deux noms semblent faits pour être réunis. Pas uniquement parce que leurs patronymes entretiennent une certaine proximité phonétique, qui tient à leurs ascendances italiennes communes. C'est surtout par ce qu'ils incarnent dans l'histoire de la musique respectivement qu'on perçoit entre eux des formes de correspondances. Bien que de générations, d'expériences et de nationalités différentes, en effet, ces deux hommes ont, dans notre imaginaire, des choses en partage. Est-ce une même capacité à emprunter aux formes populaires ce qu'elles ont d'universel ? Ou bien un sens aigu de la mélodie qui en fait des compositeurs inoubliables ? Il existe entre eux quelque chose qui nous les rend familiers l'un à l'autre alors même qu'ils ne se sont rencontrés qu'à distance, par le biais de la musique, cet art qui réunit des hommes en se jouant du temps.
L'un a composé pour le grand écran des musiques qui ont donné quelques-uns des thèmes les plus fameux de toute l'histoire du cinéma, en puisant dans le folklore des différentes régions de l'Italie, mêlant à l'orchestre symphonique les sonorités des fanfares de rue et les danses des campagnes. L'autre a écrit des airs de chansons, notamment pour Claude Nougaro, qui restent ancrés dans les mémoires, sur un instrument, l'accordéon, qui, plus qu'aucun autre, symbolise la musique populaire. Tous deux sont allés chercher auprès des traditions de leur pays des éléments qu'ils ont sublimés en les confrontant à d'autres musiques, d'autres histoires, d'autres éclairages. Richard Galliano a « inventé » son new musette inspiré par l'exemple de son ami Astor Piazzolla, revivifiant une musique typiquement française à la lumière d'un exemple argentin et d'une liberté d'improvisation découverte dans le jazz , Nino Rota, qui a su capturer l'âme de l'Italie dans son œ,uvre, n'a vraiment exercé ses talents de compositeur pour le cinéma qu'après être allé se perfectionner aux Etats-Unis. Comme s'il fallait en passer par la confrontation à la culture de l'autre pour mieux se cerner soi.

Richard Galliano n'est pas le premier des jazzmen à se pencher sur la musique de Rota. Mais chez lui, cette ambition de revisiter quelques-uns des airs les plus fameux du compositeur milanais renvoie à une ambition déjà ancienne (certains arrangements attendaient depuis quelques années dans ses cartons une occasion de voir le jour) qui elle-même est reliée à des souvenirs personnels. Le Niçois n'a pas oublié « le choc émotionnel » qu'il ressentit, enfant, en assistant au cinéma à la projection de La Strada de Fellini. L'adulte qu'il est devenu —, qui fait la route la moitié de l'année avec son accordéon en bandoulière —, n'a pas oublié la mélodie originale : « elle m'a accompagné toute la vie ».
Le cinéma italien et Nino Rota
Né en 1950, Galliano est d'une génération qui a connu les grandes heures du cinéma réaliste italien, puis la fantaisie baroque des œ,uvres de Fellini ou encore l'avènement de la saga du Parrain de Francis Ford Coppola... Trois jalons dans l'histoire du cinéma, marqués de l'empreinte d'un même compositeur, Nino Rota, qui sut inventer pour chacun des musiques qui font plus qu'illustrer les films pour lesquels elles ont été imaginées... Elles leur donnent un supplément d'âme musical.
Ces thèmes, pour certains extrêmement familiers tant ils sont inscrits dans notre mémoire collective autant que les images, Richard Galliano les reprend avec l'ambition de leur rendre justice sans en trahir l'esprit original. La plupart, l'accordéoniste les a d'ailleurs relevés d'oreille, en visionnant les films. Pour lui, les mélodies sont ainsi restées d'autant plus indissociables des images (dans le même ordre d'idée, au trompettiste Dave Douglas qui lui demandait comment se préparer à l'enregistrement, Galliano a simplement conseillé de revoir les longs métrages de Fellini). Pas question, donc, de travestir ces thèmes, ni de les utiliser comme prétextes. « C'est un projet « fragile » à côté duquel on peut vite passer. Pour moi, jouer ces thèmes doit s'accompagner d'une forme de respect. On ne pardonne pas tout au nom de l'improvisation. Il me semblait important de trouver une simplicité de son, quelque chose de très réel, pas sophistiqué, qui rende justice aux originaux », explique le musicien. L'album est ainsi d'une rare concision, épuré dans les interprétations, clair dans l'énoncé des mélodies, modéré dans les improvisations, comme si l'évocation et le chant imposaient une forme de retenue et s'inscrivait dans la logique des airs les plus célèbres de Nino Rota formés souvent de peu de notes. Outre Le Parrain et La Strada , on retrouvera dans ce disque des musiques écrites pour la plupart écrite par le compositeur pour des films de Fellini ( I Vitelloni, Huit et demi, Le Notti di Cabiria, La Dolce Vita, Giulietta degli spiriti, Amarcord ). Les titres s'enchaînent selon un montage séquentiel quasi cinématographique. Parmi les surprises que le disque recèle, on découvrira celle d'entendre Richard Galliano jouer le thème du Parrain au trombone, l'instrument qu'il étudia au conservatoire (on n'y enseignait pas alors l'accordéon !) et qu'il a décidé de ressortir de son étui voici quelque temps.
Des musiciens de premier plan

Pour l'épauler dans cet hommage, Richard Galliano a fait appel à des musiciens à la large culture, des jazzmen ouverts à d'autres traditions, qui, tout en maîtrisant les fondamentaux de leur musique, savent aller au-delà, chercher d'autres sources d'inspiration. Le trompettiste américain Dave Douglas a fait la preuve, par la multiplicité des projets qu'il mène de front, de sa grande largesse d'esprit et de son intérêt pour le dialogue avec les autres expressions artistiques (il mène d'ailleurs un groupe, Keystone, qui interroge le rapport de la musique à l'image). Passeur entre deux continents depuis plusieurs décennies, le saxophoniste et clarinettiste anglais John Surman fait partie de ces libres penseurs dont le lyrisme est marqué par les traditions musicales de la Cornouailles et la liturgie anglicane. Originaire de Russie, formé dans son pays natal, le contrebassiste Boris Kozlov s'est imposé comme l'un des plus solides musiciens de New York où il vit depuis vingt ans et s'est fait connaître comme pilier du Mingus Big Band. Le batteur Clarence Penn, enfin, est le compagnon de Richard Galliano depuis qu'il l'a choisi pour son New York Trio.
Avec de tels musiciens, qui ont le sens de la nuance et de l'écoute, l'accordéoniste salue ainsi la mémoire d'un grand compositeur dont l'année 2011 marque le centenaire. Il fait entendre tout ce qui caractérisait son art : le mélange des airs de fête et de fanfares avec un lyrisme un peu grave, la fantaisie de mélodies enlevées desquelles un voile de mélancolie n'est jamais totalement absent.
Cette musique a des accents de simplicité joyeuse qui la rendent immédiatement accessibles, ce qui n'enlève rien à sa noblesse. C'est l'une des grands talents de Nino Rota. Et c'est l'un des chevaux de bataille de Richard Galliano : « Le populaire ne m'a jamais fait peur. J'ai toujours aimé les musiques traditionnelles ou populaires « savantes ». Qu'on parle de tango, de musette, de blues ou d'Europe de l'Est, ces musiques sont les plus difficiles à jouer et on ne les apprendra jamais au conservatoire. Pourtant, elles donnent envie aux gens de danser, et c'est pour moi la plus belle chose qu'on puisse offrir en musique. » Le disque se clôt sur une composition de Richard Galliano dédié à Rota et simplement intitulée 'Nino' : « J'ai voulu terminer le disque avec un genre de charleston et une note assez gaie parce qu'il est vrai que cette musique est assez grave... Par son rythme et ses couleurs, 'Nino' oscille entre New Orleans et l'Italie. C'est ma façon de dire que la musique de Rota est universelle. » Un bel hommage.

- Richard Galliano
Nino Rota
- 1 CD Deutsche Grammophon / Universal
- Musiciens : Richard GALLIANO (accordéon, accordina, trombone), John SURMAN (sax soprano, clarinette), Dave DOUGLAS (trompette), Clarence PENN (batterie, percussions), Boris KOZLOV (contrebasse)
- Album disponible le 17 octobre 2011
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