Le cirque Alexis Gruss : une histoire de terre et de famille

« Tu n’es pas concentré », le jongleur vient de laisser échapper une massue. Charles, petit-fils du maitre des lieux, Alexis Gruss, est debout sur Eros, un cheval de trait russe, qui galope tout autour de la piste. Nous sommes en pleine répétition, il est bientôt 16h. Le spectacle commencera dans 4 heures.

Derrière la piste du cirque Alexis Gruss et le rideau qui surplombe l’entrée centrale au-dessus duquel l’orchestre jouera ce soir, on découvre les coulisses.  Une espèce de gros bateau gonflable semble échoué là, des accessoires, et puis en prolongement du chapiteau principal, un autre chapiteau abrite les chevaux. Il recèle à droite, l’antre des costumes et au centre, derrière une autre piste, ou un rond de longe et  les écuries. Deux allées avec de part et d’autres, des paddocks  qui abritent 48 chevaux, une éléphante, quatre chiens dont deux dalmatiens très aboyeurs, Matisse et Gauguin ainsi que des mini poneys (c’est vous dire s’ils sont petits) très mignonnes (Eh oui ce sont des filles).

Les chevaux du cirque Alexis Gruss sont issus de différentes races selon le numéro auxquels ils sont destinés : haute école (espagnol ou lusitanien), voltige,  … « Le frison est froid dans sa tête, calme, régulier,  le trait est robuste… ». Mais ce sont tous des étalons, car on dit que les femelles sont lunatiques,  avance Kilian, chef des écuries. « Les étalons sont bons pour le spectacle,  plus vifs, ils ont du tempérament, une morphologie plus forte et plus d’énergie. » Avec l’étalon, la force ne sert à rien, le contact et la logique suffisent.


"Les chevaux de trait
(également normand, breton) ont les mêmes réactions que les chats, sauf qu’ils ne se grattent pas derrière l’oreille !" plaisante Charles. Ils travaillent tous les jours, même les plus vieux, une demi-heure à 45 minutes, repos le lundi ! » Il faut maintenir un contact, ne serait-ce qu’en les brossant tous les jours « pour les faire un peu propres. » La crinière des frisons est toute bouclée. Leur ferait-on des permanentes ?  « La crinière est tressée pour que le crin casse moins quand ils se frottent », explique Kilian. Quand ils arrivent au cirque, ils ont entre deux et quatre ans et  ils y passeront leur vie. A la retraite, ils ne pourraient pas s’adapter ailleurs alors on les garde avec nous, on les choie un maximum. »


7h. Les lumières s’allument, debout là-dedans ! la journée de Seurat, Chagall, Cachemire, Fado… et leurs camarades d’écurie débute.  Le cheval se lève en petit-déjeunant au foin. Puis répétition de 8h15 à midi,  heure à laquelle le déjeuner de grain est servi. A 14h certains répètent sur la scène. Des artistes comme les voltigeurs s’occupent des chevaux plus que d’autres mais il n’y a pas de cheval attitré : « on habitue tout le monde à tout le monde. » Si c’est un soir de représentation, goûter à 17h. Les chevaux ne réalisent pas plus de deux numéros par soir. Tous les pensionnaires participent au spectacle à tour de rôle. Côté deux jambes, un cuisinier prépare les repas pour toute la troupe composée de 40 personnes.

Après Kilian, issu de l’équitation de haut niveau arrivé dans la « famille » par connaissance, les jumeaux Charles et Alexandre, 22 ans, fils de Stephan et Nathalie, sixième génération de Gruss, répondent avec spontanéité, gentillesse et passion à nos questions.

Les aînés des 8 petits-enfants d’Alexis sont tombés dans le chapiteau dès le berceau. « On ne s’est jamais vraiment posé la question de ce qu’on ferait après le bac, c’est un milieu magique ! Mais on a un cousin avocat… » avoue Charles. Aurait-il mal tourné ? «  Et notre frère de 17 ans est en fac d’économie. » Ce qui ne l’empêche pas de se produire aussi sur scène.

Dans la famille, les enfants commencent leur apprentissage vers 9, 10 ans. Joseph, 11ans, troisième frère, assuré par un filin, s’entraine au sol à exécuter des sauts périlleux. Côté équitation, pas de diplôme mais un vrai savoir-faire appris dès l’enfance : « On fait les choses à notre façon, mais nous respectons la façon de faire des autres. Nous sommes dans l’action. Les chevaux, il faut savoir les tenir. » Les deux frères, tous les deux aux allures de prince charmant, se sont toujours bien entendus et travaillent naturellement en duo.


Voici que s’avance, casquette sur la tête, les yeux pétillants, l’âme du lieu, le fondateur Alexis pour qui la famille, est « un vrai état d’esprit ». A un journaliste qui parlait de sa belle-fille comme d’une pièce rapportée, il l’a repris par « vous voulez dire une valeur ajoutée. » Car pour lui, « on n'existe que par les autres, jamais tout seul. »

« C’est un homme très sage qui a appris plein de choses. Il est mon mentor, mon Dieu, s’exclame Charles. Mon père, lui, m’a tout appris ».  A 71 ans, le patriarche se produit avec sa femme, Gipsy Bouglione. « Les chevaux sont sur scène tant qu’ils sont présentables, comme moi, glisse-t-il avec humour.  Pour lui le cirque est synonyme de défis comme le sport de haut niveau.  « Quand je vois mes petits-fils jongler sur le dos d’un cheval de 800kgs tournant à pleine vitesse sur la scène de 13m à la forme infinie, c’est un moment pour moi d’une force extraordinaire. La magie opère toujours : « voyez ici, dit-il, évoquant la prairie du Bois de Boulogne, la veille, il n’y a rien et le lendemain, il y a tout ça ! »

"Je suis le seul Gruss AOC", clame Alexis Gruss évoquant en filigrane l’autre cirque nommé Gruss (Arlette Gruss). « Le cirque c’est un lieu, pas un spectacle. Un lieu fait de terre et de sciure. » C’est pourquoi 80m3 de terre ont été placés là, « la terre est fertile, c’est un vrai lieu de création. » Pour la première fois depuis 20 ans, le cirque part en tournée dès mars 2016, dans les Zénith de France. Mais là aussi, la terre sera présente tout comme l’orchestre. « Je ne peux envisager le spectacle vivant sans musique vivante ».

Le cirque s’installe pour les 6 mois « d’hiver » à Paris et l’été se passe près d’Orange  où le nouveau spectacle de la prochaine saison est créé. Pour le voyage,  3 semi sont nécessaires pour les chevaux. L’éléphante possède la sienne… "elle fait partie de ma famille", affirme haut et fort, Alexis Gruss. Une grande et belle famille.

Il est temps d’aller déguster hot dog et barbe à papa avant que le spectacle commence.

photo jacques gavard
Pégase et Icare, est né d’une vraie complicité entre la troupe des incroyables acrobates Les Farfadais et la famille Gruss. Les deux metteurs en scène, Stephan Gruss et Stéphane Haffner ont travaillé sur la façon d’accorder leurs numéros. Il a fallu trois à quatre mois pour que les chevaux s’habituent aux artistes évoluant au-dessus de leurs têtes. Le spectacle est magique, poétique et plein d’émotion. Chez les Gruss, tout est classe. Des objets vendus dans la boutique aux lustres où se découpent des chevaux dans l’espace restauration. La mise en scène est fluide et les numéros alternant ou mêlant, acrobatie et partie équestre, se succèdent gracieusement au rythme des chansons interprétées en live sous des lumières travaillées.

La rencontre de ces deux univers, terrien et aérien, sont magnifiques. On ressort époustouflé par tant de maitrise sans que jamais on ne sente le travail. Une petite chose vient nous rappeler qu’au cirque le moindre grain de sable fait rater le numéro. Charles glisse deux fois du dos du cheval au galop où il rejoint son frère en sautant. Explication donnée à la fin du spectacle quand les trois frères viennent nous rejoindre pour la photo promise (quand on dit quelque chose, on le fait !). « Il y avait un cheval casse-couille qui s’entêtait à aller trop vite, ça devenait dangereux. »

C’est ça le cirque, un défi de tous les jours !

 3 des petits-enfants d'Alexis Gruss: Charles, Alexandre et Joseph

Jusqu'au 6 mars au Bois de Boulognet et en tournée dans les zéniths en province jusqu'au 1er mai.

 

Par Véronique GUICHARD

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