Birmanie secrète 9/9 : Femmes tatouées de l’Etat Chin

Dernière étape du voyage en Birmanie. Au départ de Mrauk U, paisible seconde ville de l'Etat d'Arakan, rencontres après deux heures de navigation avec des femmes aux visages tatoués, dans des villages de l'Etat Chin, lovés dans la jungle en bordure de rivière.


Birmanie. Femme tatouée de la minorité Chin.

Mrauk U, quelle découverte ! Atteinte après plusieurs heures de remontée fluviale depuis Sittwe, truffée de merveilles archéologiques, l'ancienne capitale de l'un des royaumes les plus puissants de Birmanie vit aujourd'hui à l'écart de tout. Malgré ses 70 000 habitants (300 000 avec les villages alentour) le charme qui s'en dégage reste profondément rural, et ce coin de terre restera mon “bout du monde ” à moi.
Birmanie. Temple Kothaung et berger menant son troupeau à Mrauk U, Etat d'Arakan.


Des centaines de temples - qui ressemblent à des forteresses dont certaines n'ont pas même encore été fouillées - s'égrènent ça et là dans la ville et ses environs, étroitement mêlés à la vie des habitants. Ainsi, n'est-il pas rare d'entendre le bruit mat d'un vêtement plein d'eau savonneuse frappé contre le sol d'un temple séculaire, d'y voir paître un troupeaux de vaches à robes rousses ou s'ébattre des enfants jouant à cache-cache entre ces pierres d'un autre âge.


Sous l'oeil de Bouddha



Je n'oublierai jamais les jeux de lumière des canaux qui innervent cette cité, se mêlant aux verts puissants d'une végétation envahissante et aux gris profond des pierres en partie érodées.

Birmanie. Centre ville de Mrauk U. Vélos-taxis en attente du client.


En passant devant l'un des temples auquel personne ne prête attention, je lis Lay Mye Than temple. King Min Saw Mon AD -1430. Cette inscription piquant ma curiosité, je sors la lampe de poche dont je ne me sépare jamais et, précautionneusement (je redoute les scorpions et les serpents), j'entre au coeur de la masse de pierre.
Birmanie. A Mrauk U, devoirs à l'intérieur du temple vieux de cinq siècles.

Là, stupéfaite, je découvre dans un profond silence deux écoliers en train de faire leurs devoirs au pied d'un vénérable Bouddha de pierre. Les bâtisseurs auraient-ils pu imaginer que le rai de lumière qu'ils ont conçu pour illuminer ce Bouddha serait utilisé par leurs lointains descendants pour étudier au calme et dans la bienfaisante fraicheur d'un temple ?


Chaussures déglinguées



Un jeune qui jouait dehors et dont je ne saurai trancher s'il est fille ou garçon, a décidé de me suivre et glisse avec une telle délectation sa main dans la mienne que nous voilà partenaires pour un moment. Son tee shirt, qui fut sans doute blanc à ses débuts, ne tient que par un fil aux épaules. Le short a manifestement mieux connu les chemins poussiéreux qu'il n'a lustré les bancs d'une école, et les chaussures —, peut être celles du père devenues inutilisables —, d'un bon 43 (alors que ses petits pieds atteignent péniblement un 35), n'ont plus aucune attache qui permette à l'enfant de marcher correctement. Evidemment, il me faut lui en acheter une paire neuve. Nombre d'enfants, ici, marchent pieds nus, mais je vois bien qu'une chaussure, même complètement déglinguée, représente pour lui une sorte de statut.

L'achat lui fait sans doute plaisir, mais... je n'en saurai rien car les Birmans ne sont jamais expansifs quant aux cadeaux. Par contre, quelle fierté pour lui, à chaque fois qu'on lui demande ce qu'il fait avec moi, de répondre qu'il “m'accompagne à la pagode” !

Birmanie. Mrauk U. Monastère Bandula. Toujours et partout, la même menace d'un enfer effrayant ... !





Avec un noeud coulissant


Devant mon hôtel, des jeunes filles balaient du matin au soir. Je les trouve, quelle que soit l'heure, joliment habillées d'un tabei bleu marine aux rayures rakhaines et chemisier assorti, en train de caresser nonchalamment le sol. Situé sous les arbres et au bord de la route plus que poussiéreuse, autant dire que cinq minutes après le passage du balai, tout est à refaire. Alors... elles refont. Et... refont tout au long du jour.

Ce soir, un animal couine au-dessus de ma tête. Je demande de quel animal il s'agit. Trois garçons armés d'une lampe torche et d'un noeud coulissant fixé à l'extrêmité d'un long morceau de bois (une technique éprouvée, semble-t-il) cherchent à lui enserrer le cou pour m'en débarrasser. J'ai beau dire que sa présence ne me dérange en rien et que je veux juste savoir quel est cet animal, rien n'y fait. Ils n'arrêteront que lorsqu'ils l'auront capturé. Le toe toe s'avère être un gecko (énorme, il est vrai) et l'aventure, comme si souvent dans ce pays de bonne humeur, est l'occasion de force éclats de rire.

Birmanie. Motard à la svastika forcément - mais à tort - ambiguë pour un oeil européen !

Sur le marché, par contre, c'est peu de dire que... la vendeuse de fruits me boude. Une furieuse envie d'oranges m'oblige à me diriger vers son étal car elle est la seule à en proposer, mais la femme m'a manifestement “dans le nez”.


Fruits au nombre


Serait-ce parce que je choisis, comme nous en avons l'habitude chez nous, moi-même les fruits que j'achète et que cela ne se fait pas, ici ? Le premier jour, j'en choisis quatre. Elle m'en ajoute deux (je devrais pourtant savoir qu'au Myanmar on n'achète pas les fruits au poids mais au nombre !) et accompagne ce geste d'une grimace.

Le lendemain, le fait de m'apercevoir lui fait ostensiblement tourner la tête : c'est clair, elle refuse de me servir. Le délicieux accueil birman est, pour une fois, pris en défaut !

Birmanie. Mrauk U et ses multiples bras de rivière. Etat d'Arakan.

J'avale une soupe dans un tout petit restaurant au personnel plus nombreux que les tables : un couple de patrons sert et trois personnes s'affairent en cuisine, des femmes Bengali reconnaissables à leur teint nettement plus foncé et à leur morceau de tissu coloré posé 'à la va-comme-je-te-pousse” sur la chevelure. Elles épluchent, font la vaisselle, et sans doute aucun ménage, le sol étant un mélange de terre battue et de gravier, et la poubelle... comme toujours, constituée par un bras de rivière qui passe au pied du resto.

Accrochés aux parois en bambou tressé, une étagère de bois couverte de toiles d'araignées supporte un Bouddha baigné d'une lumière rouge. Un vase de porcelaine blanche l'honore de quelques roses pompons. Le patron vient se laver les dents à un mètre de moi puis se rince en recrachant, toujours dans la 'rivière vide-ordure'. A ma droite, deux moines attablés devant un thé, lâchent des rots tonitruants. La nourriture que l'on me sert ? Un vrai régal !


Un jeune batelier



J'ai décidé de me rendre dans l'Etat Chin. Htun, cheveux en brosse et rondeur joviale, me servira de guide car il est interdit de s'y rendre seule. Après avoir obtenu l'indispensable autorisation gouvernementale, nous partons en moto sur une dizaine de kilomètres - chemin mi-terre mi-pierres particulièrement inconfortable - jusqu'à un embarcadère où des enfants s'ébattent dans l'eau, tandis que les hommes pêchent à bord de petites embarcations.

Birmanie. Remonter la rivière Lemro vers l'Etat Chin.

Sautant dans un barque dont le batelier n'a pas vingt ans, je remonte tranquillement la rivière Lemro en direction du Nord, vers l' Etat Chin, vaste territoire des contreforts himalayens . Là, un mouvement nationaliste, le CNF (Chin National Front) lutte depuis plus de vingt ans pour le droit à l'auto-détermination et revendique la réunification du territoire, tel qu'avant l'arrivée des Anglais, pour cette ethnie installée de part et d'autre de la frontière indo-birmane(1).

Birmanie. Descente de la rivière Lemro à la voile et à la rame.


Superbe silence sur ces eaux vertes qui nous portent et ne se troublent qu'au passage des bateaux qui descendent à la voile et remontent au moteur, voire à la rame. Les plaines alluvionnaires qui constituent les rives, riches en productions agricoles (maïs, haricots, tomates, aubergines, chous et surtout cacahuètes) alternent avec de vastes espaces occupés par des claies sur lesquelles sèche le poisson. Des vaches se désaltèrent et s'ébrouent un moment près des berges, tandis qu'un homme, de l'eau à la taille, tire un radeau de bambous à l'aide d'une longue corde enroulée autour de ses hanches.

Birmanie. Richesse agricole des plaines alluvionnaires le long de la rivière Lemro.


Tun m'offre des cacahuètes. Elles sont mouillées car bouillies. Rien à voir, donc, avec nos cacahuètes grillées. Le goût en est agréable... à condition de ne pas s'attendre à retrouver la saveur connue.


Bilinguisme obligé


Après deux heures de navigation, nous descendons du bateau pour découvrir un premier village. A Creek Chaung, la salle de classe se niche dans les soubassements d'une maison .
Les élèves de ce bourg peuplé d'un demi-millier d'habitants portent l'uniforme de tous les scolaires birmans, quelle que soit leur ethnie (les Népalais —,rencontrés en Birmanie secrète 7/9- n'appartiennent à aucune ethnie du pays et représentent donc une exception).
Birmanie. Ecole d'un village de l'Etat Chin.

Les collégiens, jupe ou pantalon vert pétrole et chemise ou corsage blancs, étudient six matières : le birman, l'anglais, les maths, l'histoire, la géographie et les sciences . Aucun enseignant professionnel pour venir dans ces villages perdus. Alors ce sont les plus instruits de la communauté qui s'en chargent. Shwe Tun, présent aujourd'hui est responsable de trois matières. Un autre villageois, des trois autres. Dans un souci d'unité nationale (de bâillonnement de la langue des Minorités, grognent certains), le birman a été déclaré langue de l'enseignement scolaire sur l'ensemble du territoire.

Birmanie. Femme tatouée de la minorité Chin.


Ici, comme à Paung, un autre village blotti au cœ,ur de ces forêts luxuriantes, que l'on rejoint en marchant une petite demi-heure, les femmes ont le visage couvert d'une toile d'araignée bleutée .


Rapt de femmes



Les jeunes ont, pour la plupart tourné le dos à ces tatouages faciaux, un peu par modernisme, beaucoup sous l'influence des restrictions imposées par les autorités. Pourtant, certaines qui n'ont pas trente ans, ont tenu à imiter leurs aînées (tout en adoptant des tracés beaucoup plus simples). On raconte que ces tatouages étaient, à l'origine, pratiqués pour enlaidir le visage des femmes réputées belles, et leur éviter ainsi d'être enlevées par des tribus voisines...

Aujourd'hui, ce sont surtout les femmes d'un certain âge qui portent ce voile de fils bleus sur leur visage, y compris leurs paupières, et on peut craindre, avec l'ouverture du pays, que des hordes de voyageurs ne viennent bientôt les observer comme des bêtes curieuses (voir le « spectacle », que j'imagine consternant, des Femmes-girafes plus à l'Est, dans la région de Kalaw).

Femmes tatouées de la minorité Chin.


Pour l'heure, ces dames m'accueillent en m'attrapant par la main pour m'entraîner à l'intérieur de leur maison —, toutes construites sur pilotis - et me faire partager un peu de leur intimité. Ressentent-elles l'espace clos de leur demeure comme un rempart qui les protègent, elles et leurs familles, des mauvais génies rôdant dans la nature environnante (car les Chin sont encore souvent animistes, même si les religions chrétienne et bouddhiste gagnent du terrain) ?.

Puis elles tiennent à ce que je m'installe avec elles sur la planche de bois qui leur sert de banc, et je dois dire qu'au milieu de tous ces visages savamment marbrés, je me sens ... un peu nue.

A quelques mètres de nous, une chèvre met bas sans même que quiconque n'y prête attention. Le silence de la superbe nature qui vient lécher les habitations est solennel. Aucun moteur n'est venu jusque-là.

Nous resterons un long moment ainsi, mains liées sans doute par un sentiment de féminité partagée, peut être même un peu plus, et je me réjouirai longtemps de cette rencontre au fond des bois.

Birmanie. Village Chin au nord de Mrauk U.


Alors que je m'apprête à quitter le village, quelqu'un m'entraîne sous un groupe de gros aréquiers où des jeunes enfants veulent me faire découvrir quelques chants de leur répertoire Chin.


Une balle de rotin millénaire

Mais, contre-partie inattendue, ils souhaitent ensuite que j'en fasse autant. Très intimidée, je cherche que leur chanter qui soit représentatif de mon pays, et je me retrouve avec des ballades que tous les enfants de France ont entonné un jour : Il était un petit navire, La mère Michel ou encore Ainsi font, font, font, toutes chansons qui gagnent bientôt en expressivité (et en succès !) quand je joins le mime à la voix.

Birmanie. Femme tatouée de la minorité Chin.

Un peu plus loin, de jeunes hommes disputent une partie de Chinlon . Ce sport plus que millénaire se joue, en Birmanie, à tous les coins de rue. Et donc jusque dans l'Etat Chin.

Il s'agit pour les quelques joueurs installés en cercle (plus rarement avec un filet) de se renvoyer une petite balle de rotin tressé avec les pieds, les jambes ou la tête, dans le but moins de gagner que de réaliser de jolies figures (dont des lancers de jambes en arrière particulièrement élégants). Pour ce faire, les garçons relèvent haut leur longyi et l'enroulent autour de leurs hanches, mettant très joliment en valeur le haut de leur cuisse et le bombé de leur fessier...

Le léger tintement si caractéristique de cette balle de rotin frappée par un pied ou un mollet aura accompagné tout mon voyage. Y compris près des monastères où il n'est pas rare que les jeunes moines s'adonnent, eux aussi, à ce sport national.

(1) Objectif : réunir l'actuel Etat Chin de Birmanie avec la partie sud-est du Bangladesh, et les états de Tripura, du Mizoram et du Manipur en Inde.


Retrouvez tous les reportages de Julie Montagard en Birmanie (Myanmar) :
- la descente de l'Irrawaddy

- sur les marchés, petits et grands

- dans l'Etat d'Arakan, baigné par les eux du Golfe du Bengale et animé d'un farouche sens de l'indépendance

- dans un monastère bouddhiste où exceptionnellement introduite, elle a pu voir les moines dans leur activités d'apprentissage.

- au Nord du pays, pour y découvrir l'ethnie Kachin

- dans les transports à petite allure

- dans l'Etat de Karen

- dormir chez les Palaung

- chanter avec les femmes tatouées de l'Etat Chin

Par Julie Montagard
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