Le ballet classique est-il sexiste ? Partie 1 : l’image de la femme véhiculée par les ballets classiques

Pour la majorité des personnes, la danse classique évoque collants roses, tutus blancs et rangées de petites danseuses sagement alignées. Quant aux grands ballets classiques, ils semblent à première vue indissociables des princesses attendant d’être émancipées par leur prince. Des clichés qui vont mal avec les préoccupations actuelles, d’autant que les danseuses elles-mêmes s’interrogent de plus en plus sur la façon d’interpréter des rôles qu’elles ne comprennent plus toujours. 

Alors, l’image de la femme véhiculée par les ballets classiques répond-elle à un cliché sexiste ? Faisons le point.

Des histoires a première vues datées 

Si l’on fait un tour d’horizon de la narration des principaux ballets classiques, le tableau à première vue n’est pas rose.

Souvent, l’héroïne, toujours pure et innocente, c’est un pré-requis, mourra à cause de l’homme qu’elle aime mais lui pardonnera néanmoins – il ne faudrait pas que ces messieurs aient à regretter leurs actes.

 

Opéra national de Paris Ballet Giselle

Crédit photo : Svetlana Loboff – Ballet de l’Opéra National de Paris : Giselle

 

C’est le cas dans Giselle, où une paysanne séduite par un noble déguisé perdra la raison lorsqu’elle découvrira l’imposture et en mourra, avant au deuxième acte, fraichement ressortie de sa tombe, de lui sauver la vie, pas ingrate pour deux sous.

Dans La Bayadère en revanche, la malheureuse Nikyia, promise au guerrier que souhaite épouser la fille du Rajah, sera assassinée par serpent interposé, tandis que le lâche Solor, aimé de l’une, promis à l’autre, détournera le regard.

Que dire de La Sylphide, ce charmant esprit des bois, que James, pas très dégourdi il est vrai, tuera sans le vouloir en lui enlevant ses ailes dans l’espoir de la garder près de lui ?

Nous passerons sur les histoires tirées de contes célèbres, comme la Belle au bois dormant, Cendrillon ou le Lac des cygnes, où l’héroïne ne peut compter que sur la venue d’un Prince (oui, avec une majuscule) pour la délivrer de sa condition.

A première vue, les héroïnes des ballets classiques ne sont donc pas des modèles d’émancipation.

Faut-il pour autant condamner immédiatement leurs auteurs à l’échafaud ? Pas si vite ! Ce serait mettre de côté deux facettes importantes du sujet.

L'importance de la symbolique dans le ballet classique, creuset de femmes fortes

La symbolique, tout d’abord.

Et oui, ces histoires ne sont pas toujours à prendre au premier degré, et bien souvent il y a une morale cachée !

Revenons à la Sylphide. James est donc un écossais fiancé à la jeune Effie. Au lieu de s’en contenter, il préfère courir après l’insaisissable Sylphide, qui, lorsqu’elle ne peut plus lui échapper…cesse d’exister. Et le pauvre James se retrouve le bec dans l’eau, puisque, spoiler alert: pendant qu’il courait les bois, Effie en a eu assez de l’attendre et en a épousé un autre. Pas besoin d’un doctorat en philo pour comprendre le double message : la femme idéale ne l’est que parce qu’elle n’existe pas vraiment (vous voyez le lien avec le sujet des mannequins retouchées sur les publicités ?), et à force de courir après des chimères on perd ce que l’on avait dans la vraie vie.

Le caractère, ensuite.

Faible, Giselle ? C’est elle qui a le beau rôle, figure du pardon et de la volonté implacable, qui une fois transformée en esprit vengeur (rien que ça) tiendra tête à sa reine pour sauver l’homme qu’elle aime (si l’histoire ne vous semble pas claire, relisez notre article du mois dernier à ce sujet).

Là où son partenaire Albrecht n’a guère que sa lâcheté à offrir. Tout comme le guerrier Solor dans la Bayadère, homme effacé entre une Nikiya tellement maitresse de son destin qu’elle refusera sciemment de prendre le contre-poison qui lui est proposé, et une Gamzatti tout de même suffisamment dégourdie pour assassiner sa rivale (ça n’en fait pas un modèle à suivre, nous sommes bien d’accord).

Femmes sacrifiées, oui, mais femmes fortes néanmoins, qui éclipsent totalement leurs partenaires masculins. Et si finalement c’était des hommes que le ballet classique donnait une bien piètre image ?

Le ballet classique évolue avec la société

Enfin, si ces arguments ne vous satisfont pas, sachez que les choses évoluent peu à peu. Même les grands classiques changent d’année en année, de chorégraphe en chorégraphe, et à l’occasion de leurs relectures ceux-ci introduisent des interprétations plus conformes à la société actuelle.

Prenons l’exemple de Raymonda. Ce ballet, superbe sur le plan de la danse, est totalement désuet sur le plan de l’histoire, au point que certaines compagnies ont cessé de le danser.

L’héroïne éponyme, attendant sagement son fiancé Jean de Brienne parti aux croisades (oui, vous avez bien lu), est approchée par l’étranger Abderam qui tente de la séduire puis, face à son refus, de l’enlever (ce n’est qu’une femme après tout, pourquoi s’embarrasser). Mais heureusement le valeureux Jean de Brienne, revenu à temps de son petit voyage, délivrera in extremis sa bien passive dulcinée.

En termes d’émancipation féminine, on a vu mieux. Ça n’a pas échappé à Tamara Rojo, alors directrice de l’English National Ballet, qui en a proposé une relecture toujours aussi classique sur le plan de la danse (elle a repris autant que possible la chorégraphie d’origine) mais avec une narration nettement plus satisfaisante.

L’histoire est transposée pendant la guerre de Crimée et Raymonda, devenue une infirmière très impliquée (inspirée de Florence Nightingale), se veut une femme de caractère qui mène sa vie et son destin sans s’en laisser imposer par ses deux prétendants.

Une démarche intéressante, en plus d’offrir le premier passage dansé de type « acte blanc » mélangeant danseurs et danseuses, alors que ces parties sont traditionnellement réservées au corps de ballet féminin.

 

Alors, convaincues ? Comme vous non plus vous ne vous en laissez pas conter, nous ne saurions que trop vous inviter à aller vous faire votre propre avis cette saison !

 

Allison Poels Toutpourlesfemmes

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